MÉGA-PROJET NUCLÉAIRE D’ORANO EN CHINE: L’ÉLYSÉE VEUT DES GARANTIES

EXCLUSIF – Selon nos informations, l’Élysée a commandé en mai un audit juridique concernant le projet d’usine de retraitement de combustibles nucléaires d’Orano en Chine. Objectif: s’assurer que la responsabilité de la France ne puisse pas être engagée en cas de détournement par Pékin de la technologie transférée.

Attention, dossier explosif. En discussion depuis plusieurs années, le projet sensible d’usine de traitement de combustibles nucléaires usagés d’Orano en Chine refait parler de lui. Selon nos informations, l’Élysée a commandé en mai un audit juridique concernant ce méga-contrat estimé à dix milliards d’euros qui doit apporter une bouffée d’air frais à l’ex Areva. Objectif pour l’exécutif: s’assurer que la responsabilité de la France ne puisse pas être engagée en cas de détournement par Pékin de la technologie transférée. « Après les critiques en avril contre le laboratoire P4 de Wuhan vendu par la France, l’Élysée a souhaité avoir plus de garanties s’agissant du projet porté par Orano« , confie une source diplomatique.

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Comme le P4, qui stocke les virus les plus mortels de la planète dans le but de les combattre, l’usine franco-chinoise reposerait sur des biens duaux, c’est à dire dont l’usage peut-être aussi bien civil que militaire. « Une telle usine de traitement du plutonium peut très bien servir à fabriquer une bombe, il faut donc être très prudent« , poursuit cette même source. La France, qui pousse depuis une vingtaine d’années pour la signature d’un traité interdisant la production de matières fissiles pour les armes nucléaires, entend ainsi prendre ses précautions avec le régime chinois. À la manœuvre, la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées et la Direction des affaires stratégiques du ministère des Affaires étrangères. « La question de la localisation de l’usine est par exemple importante pour nous, précise ce même connaisseur du dossier. Nous penchons pour la côte est plutôt que pour l’intérieur du pays où tout est toujours plus opaque« . Une autre source ministérielle nuance: « la Chine n’a pas besoin d’une usine de traitement pour produire des matières fissiles, elle peut y arriver sans cela. La question est plus de savoir si Pékin va ensuite revendre à l’étranger cette technologie que peu d’États maîtrisent« .

Dilemme politique

À côté de ces discussions entre les deux pays, qui expliquent que ce projet aux allures de serpent de mer ne soit toujours pas officialisé, se pose une question plus politique. Emmanuel Macron, dont l’Élysée étudie un déplacement en Chine en octobre, a-t-il intérêt à ce que ce contrat soit signé? « C’est un dossier compliqué car la survie d’Orano en dépend mais d’un autre côté, la crise sanitaire a mis en lumière notre trop grande dépendance à l’égard de la Chine et a dégradé notre relation« , juge le même diplomate pré-cité. Contacté, l’Élysée n’a pas souhaité répondre à nos questions.

La future usine franco-chinoise pourrait traiter jusqu’à 800 tonnes de combustibles usagés par an, permettant d’en recycler une partie sous forme de « MOX« , un mélange de plutonium usagé et d’uranium. Le site doit être conçu et équipé par Orano, selon les technologies développées sur son site de La Hague (nord-ouest de la France). Il s’agirait du tout premier site de retraitement en Chine, où la forte expansion du secteur nucléaire soulève la question des déchets radioactifs. Ils sont pour l’instant stockés dans des piscines temporaires. La Chine est le premier marché mondial de l’atome civil. Elle compte actuellement 48 réacteurs en activité ainsi que 10 en construction, selon l’organisation internationale Association nucléaire mondiale (ANM).

Par Antoine Izambard, publié le 26.08.202 à 15h44

Photo en titre : Orano négocie depuis plusieurs années la signature d’un méga-contrat avec Pékin concernant une usine de retraitement de combustibles nucléaires usagés.ERIC PIERMONT / AFP

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