Ces derniers mois, le nucléaire s’invite dans la course à la présidentielle 2022. La question de l’uranium, de son extraction à son traitement, est un enjeu primordial dans la question du « mix » électrique. Il est aussi source de polémiques : avant d’être un combustible puis un déchet radioactif, l’uranium est une ressource fossile qui passe par de nombreuses phases industrielles. Ses opposants dénoncent des risques pour la nature et la santé, mais Orano, ex-Areva, se défend de tout manquement.
« Nous devons ouvrir le jeu de manière totalement inédite, et nous sommes prêts à y investir un milliard d’euros d’ici 2030. » Petits réacteurs modulaires, EPR, investissements pour la recherche sur la gestion des déchets nucléaires… La vision France 2030 d’Emmanuel Macron, présentée le 12 octobre, fait la part belle au nucléaire, avec un milliard d’euros injectés dans ce secteur stratégique qui emploie 200 000 personnes. Si le président de la République a annoncé vouloir « améliorer la sûreté en baissant les coûts et réduire les déchets », il n’a pas été fait mention des enjeux environnementaux et sanitaires liés à l’approvisionnement en minerai d’uranium.
Pourtant, aucune production d’énergie, comme toute activité humaine industrielle, ne peut avoir un impact nul sur l’environnement. Le photovoltaïque, comme l’éolien, se base sur des terres rares pour les composants technologiques et prend plus de place que des centrales à énergie fossile ou nucléaire. Les énergies fossiles produisent des gaz à effet de serre et utilisent des méthodes d’extractions polluantes, l’hydraulique peut modifier des écosystèmes entiers… et le nucléaire, en étant tributaire de l’uranium, se base sur une ressource fossile qu’il faut extraire et traiter. (NDLR : et basée à l’étranger ! Bravo pour l’indépendance !)
Le parcours de l’uranium
L’uranium est le minerai à l’origine du combustible de tout réacteur nucléaire. En scindant un atome d’uranium 235, on provoque une réaction en chaîne qui, en chauffant, va transformer de l’eau en vapeur pour produire de l’électricité. L’OCDE estime que la France a besoin d’environ 6 000 tonnes à 7 000 d’uranium par an pour faire tourner ses 56 réacteurs. Orano, ex-Areva, possède des mines au Canada, au Kazakhstan et au Niger : la majorité de la production vient de ces deux derniers pays.
Une fois extrait, le minerai est traité et transformé en yellowcake. Il est ensuite acheminé en France, à l’usine Orano Malvési, à côté de Narbonne, puis à l’usine Comurhex de Pierrelatte pour être transformé en gaz. Cette forme lui permet d’être enrichi, c’est-à-dire d’augmenter sa proportion d’uranium 235, un type d’atome plus efficace dans la fission nucléaire que l’uranium 238. L’enrichissement est assuré par des centrifugeuses, à Romans-sur-Isère, dans la Drôme. C’est cet uranium enrichi qui sera transformé en petites pastilles qui formeront, une fois assemblées dans des centaines de gaines, le cœur du réacteur d’une centrale nucléaire.
Extraction radioactive
Après avoir été extrait pendant plus d’un demi-siècle en France, le minerai est donc aujourd’hui produit au Canada, au Kazakhstan et au Niger. Orano gère quatre mines, dont deux au Niger : Somaïr et Cominak, qui a fermé en mars dernier, près de la ville industrielle d’Arlit habitée par 100 000 individus. Bruno Chareyron, directeur du laboratoire de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad), a étudié la production nigérienne : « Dans les mines, les matières radioactives sont remontées à la surface. Les mineurs sont les plus exposés aux radiations, car ils travaillent très proche des parois radioactives, avec des expositions par rayonnement et par inhalation de matières radioactives. »
De son côté, Orano déclare respecter les normes maximales d’exposition des travailleurs; en cours au Niger de 20 mSv par an, soit le même niveau qu’en France. Pour la population civile, la norme internationale est de 1 mSv/an. L’entreprise se défend d’exposer les travailleurs à des rayonnements radioactifs et assure suivre les mineurs dans un mail envoyé à RFI : « Tous les anciens mineurs de Somaïr et Cominak bénéficient d’un examen médical gratuit indépendant tous les 2 ans. Aucune maladie professionnelle provoquée par les rayonnements ionisants n’a été détectée dans le cadre du dispositif OSRA, qui suit les anciens travailleurs. »
Un site de Cominak à Arlit, au Niger. AFP PHOTO PIERRE VERDY
En plus d’évoquer des risques radioactifs, Bruno Chareyron décrit également des contaminations de l’eau : « En fracturant des roches, on favorise la circulation de l’eau, qui va se charger en particules radioactives. » Or, à Arlit, l’eau utilisée pour fracturer la roche est directement pompée dans une nappe fossile, qui ne se renouvelle donc pas. Pour Orano, l’argument ne tient pas, car l’eau utilisée, industrielle, n’est pas celle utilisée par la population, et cette dernière serait contrôlée. « Tous les 3 mois, l’eau potable est contrôlée par des laboratoires indépendants. L’eau potable est uniquement consommée par les personnes en zone urbaine et en zone industrielle (mine, usine, bureaux, ateliers). Elle est pompée à partir de plusieurs puits isolés géologiquement du site d’extraction pour alimenter les châteaux d’eau situés en zone urbaine et en zone industrielle. »
Un « gâteau jaune » et des résidus
La transformation de l’uranium en yellowcake se fait sur le site d’extraction, après un tri entre l’uranium le plus riche et le moins riche. Le plus pauvre en uranium est alors entreposé hors de la mine. À l’usine Cominak tout juste fermée, ce résidu d’extraction de l’uranium représenterait 20 millions de mètres cubes entreposés à l’extérieur. Orano a donc proposé de recouvrir la colline formée par l’activité de Cominak d’une chape d’argile et de grès de deux mètres d’épaisseur d’ici 2027 : « Cette solution technique, jugée la plus efficace et pérenne, a été définie à la suite d’une série d’essais réalisée en 2020. » La compagnie insiste également sur ses engagements : « Cominak s’engage à ce que la radioactivité provenant de la verse après le réaménagement ne dépasse pas la limite réglementaire d’1 mSv/an en dose ajoutée par rapport à l’exposition naturelle. »
Mais la solution proposée par Orano ne satisfait pas le laboratoire indépendant du Criirad. « Deux mètres ce n’est pas très épais, on est dans une zone avec des vents relativement puissants, et, même si c’est paradoxal en plein désert, avec des précipitations parfois intenses. Il y a risque d’exposition des populations locales », s‘indigne Bruno Chareyron. Orano considère que l’argument ne tient pas : recouvrir les résidus d’extraction aurait déjà fait ses preuves. « La couverture radiologique de résidus miniers est une solution éprouvée déjà déployée dans plusieurs pays (France, Canada, Gabon, Allemagne, États-Unis) », rappelle l’entreprise.
En effet, la France aurait, en 60 années d’extraction d’uranium, produit plus de 50 millions de tonnes de ces résidus d’extraction sur son territoire. Qu’est-il arrivé de ces résidus ? Ils sont entreposés sous forme de pierres, de boue ou de sable sur des lieux qui ont été cartographiés par Orano et qui sont désormais surveillés et recouverts, comme il est prévu de le faire au Niger. Le chercheur de la Criirad n’est pas d’accord, et cite l’un des cas que son association a déjà rencontrés : « L’an dernier dans l’Hérault, une entreprise a construit des bâtiments sur un terrain contaminé. Or ce lieu, nous l’avions contrôlé il y a plus de dix ans, nous avions publié les résultats officiellement ! Malgré cela, le terrain non décontaminé a ensuite été vendu à la commune, qui l’a revendu à un particulier. » Orano conteste sa responsabilité : pour l’entreprise, les sites qu’elle a exploités ou qu’elle exploite font l’objet de surveillances strictes et respectent les normes en vigueur, qu’elles concernent l’eau, l’air ou les aliments.
L’industrie en France
Sous forme de yellowcake, l’uranium trié est ensuite envoyé en France, pour subir plusieurs phases de transformation afin d’être enrichi. L’usine de Malvési, première étape du minerai, fait partie des préoccupations françaises de la CRIIRAD. En 2004, une digue qui servait à retenir des déchets solides s’est affaissée et des boues se sont répandues dans la plaine, avant d’être contenues. À l’époque, Comurhex affirme que ce ne sont que des boues nitratées – et qu’on peut les utiliser pour faire pousser des patates. La Criirad, alertée par un riverain, fait des analyses grâce à un échantillon de ces boues. « Nous avons constaté que ces boues étaient radioactives et qu’en plus de contenir de l’uranium, elles contenaient du plutonium », rappelle Bruno Chareyron, avant de poursuivre : « C’est aussi une usine qui rejette des poussières radioactives dans l’atmosphère, on a fait des mesures ces derniers mois, montrant des concentrations en uranium dans les feuilles de cyprès dans l’environnement de l’usine qui peuvent être dix fois supérieures à ce que l’on mesure dans l’environnement lointain. »
Pour sa part, Orano se défend d’avoir toujours respecté les limites légales d’exposition de ses travailleurs, et rappelle que l’usine fait l’objet d’une surveillance accrue depuis son classement comme installation nucléaire de base, ce qu’elle n’était pas avant 2007. Depuis, l’entreprise déclare avoir renforcé la sécurité du site : « Depuis la reprise en pleine propriété par Orano de l’exploitation de ce site, des investissements majeurs ont été lancés dans les années 2000 et se poursuivent visant tous à contribuer à la réduction de l’empreinte environnementale du site. Son exploitation à ce jour est exemplaire, après avoir renouvelé et modernisé son outil industriel, de nouveaux projets visent à gérer et réduire l’empreinte de l’aval du procédé de lagunage notamment. »
Le dernier accident ayant eu des conséquences environnementales sur le site de Malvési date de 2009. Entre le 23 et 24 août, plus de 2 tonnes de fluor et d’ammonium s’étaient écoulés dans le canal de Tauran de manière accidentelle, faisant dépasser la concentration légale de fluor pendant plusieurs jours. Comurhex avait été condamnée à 60 000 euros d’amende en 2011.
Plus d’étapes et autant de défis
L’uranium, une fois traité par Malvési, est envoyé à Pierrelatte pour être enrichi, puis sera utilisé sous forme de pastilles dans le cœur des 56 réacteurs nucléaires français. Commence alors un nouveau défi, assurer la sécurité des centrales au quotidien, pendant les trois ans de vie du minerai. Ensuite, une fois refroidi dans des piscines, ce dernier est transporté jusqu’à la Hague, dans le département de la Manche, pour être conditionné. Bernard Laponche, ancien ingénieur qui a travaillé au Commissariat de l’Énergie Atomique (CEA) dans les années 1960, décrit : « Les combustibles irradiés sont envoyés à La Hague, où ils sont stockés dans de grandes piscines, qui contiennent actuellement l’équivalent du contenu de 100 réacteurs irradiés. C’est colossal. »
Une fois refroidies, 15 % des matières radioactives sont retraitées pour être utilisées trois années supplémentaires (le « recyclage » de l’uranium), avant d’être elles-aussi, comme les 85 % restantes, définitivement stockées sous forme de déchets nucléaires. Un défi de plus pour l’industrie nucléaire. La gestion de ces déchets, plus médiatisée, fait elle-aussi polémique : l’ANDRA souhaite enfouir à 500 mètres sous terre, à Bure, ces matières dont la radioactivité varie de plusieurs centaines à plusieurs dizaines de milliers d’années.
Reste que sur l’approvisionnement en uranium, un autre défi se pose pour l’industrie nucléaire. Les réserves rentables de cette ressource fossile, en l’état actuel, sont de 5,9 millions de tonnes. Si l’innovation ne permet pas de découvrir des méthodes de production moins gourmandes en uranium et que la demande mondiale en uranium ne fluctue pas, le délai avant l’épuisement de ces stocks est estimé à un siècle.
Par Léopold Picot , publié le 23/10/2021 à 08h14, modifié le 23/10/2021 à 08h16
Photo en titre : Une partie de la mine d’uranium de Somaïr, propriété d’Orano, ex-Areva, dans le nord du Niger près d’Arlit, en janvier 2013. AP – Maurice Ascani
Retrouvez cet article ainsi que 2 vidéos dont 1 concerne l’usine de Malvési (à côté de Narbonne) sur le site :
https://www.rfi.fr/fr/environnement/20211023-les-risques-de-l-extraction-et-de-l-enrichissement-de-l-uranium-enjeux-oubli%C3%A9s-du-nucl%C3%A9aire
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