ENTRETIEN. L’AUTRICHE EST PRÊTE À CONTESTER SI L’EUROPE ACCORDE LE LABEL VERT AU NUCLÉAIRE ET AU GAZ

Sous pression de certains États européen, la dernière mouture de son label «vert» pour attirer les capitaux privée inclut le gaz et le nucléaire. L’Autriche, qui a banni l’atome dans sa Constitution, négocie pour le faire sortir de ce classement et se réserve le droit « d’engager un recours juridique » dans le cas contraire, confirme le diplomate Wolfgang Wagner.

L’Union européenne a engagé une course contre la montre pour devenir le premier continent neutre en carbone en 2050 et atteindre dès 2030 une baisse de 55 % de ses émissions de gaz à effet de serre, cause du réchauffement climatique.

Pour y arriver, la Commission européenne, présidée par Ursula von der Leyen, propose une palette d’outils dans un grand Pacte vert. L’un d’entre eux s’appelle la « taxonomie ». Il s’agit d’une classification qui permettra d’accorder un label « vert » aux activités les moins polluantes.

Mais la France ainsi que la Pologne et ses voisins de l’est ont fait pression pour y inclure l’énergie atomique et davantage de gaz. Ces deux énergies ont fini par être ajoutées à un seuil de 270 g de CO2 e/kWh.

Cette nouvelle version a fait bondir les cinq États membres antinucléaires de l’Union européenne, dont l’Autriche, prête à contester cette « taxonomie » si l’énergie atomique y figure après les ultimes négociations, pour un résultat attendu à la fin du mois de janvier, explique à Ouest-France, Wolfgang Wagner, chargé d’Affaires à l’ambassade d’Autriche.

Au sein de l’UE, l’Autriche est sans doute le pays le plus opposé au nucléaire. Pourquoi ?

Dès 1978, après de longues discussions, les Autrichiennes et Autrichiens se sont prononcés par référendum contre l’utilisation de l’énergie nucléaire, et il existe aujourd’hui encore un large consensus à ce sujet. Les deux motivations principales étaient le risque en termes de sécurité et aussi la problématique du stockage définitif. La même année, la fission nucléaire à des fins énergétiques a été interdite par une loi, et plus tard cette interdiction a même été ancrée dans la Constitution. Les catastrophes de Tchernobyl [1986] et Fukushima [2011], ainsi qu’une série d’autres accidents dans des centrales nucléaires, ont montré que les réserves n’étaient pas infondées. Et la problématique du stockage définitif est toujours non résolue.

La taxonomie, le classement des énergies durables pour orienter les investissements privés, divise les Européens. Quelle est la position de l’Autriche ?

L’Autriche soutient pleinement le Règlement Taxonomie et l’idée de mobiliser des capitaux privés pour la transition énergétique en Europe, mais il s’agit ici de la mise en œuvre du règlement. La proposition de la Commission européenne d’accorder sous certaines conditions le « label vert » à l’énergie nucléaire et au gaz, et donc d’y rediriger des flux financiers, doit être strictement rejetée.

Ce qui nous importe, ce n‘est pas tant le refus catégorique de l’énergie nucléaire car chaque pays a le droit de façonner lui-même son mix énergétique. Mais l’énergie nucléaire comme source d’énergie polluante n’a pas sa place dans le projet de la taxonomie. Oui, cela va clairement à l’encontre de l‘essence même de la taxonomie si des technologies énergétiques polluantes comme des centrales nucléaires ou des centrales à gaz devaient désormais être qualifiées de durables. La conséquence serait que des sources de financement devant être dirigées vers des technologies énergétiques vraiment durables ne le seraient alors pas.

La ministre de l’Environnement autrichien a indiqué qu’un recours juridique était possible ? Où en est cette démarche ?

Un cabinet d’avocats international conclut dans son expertise que l’énergie nucléaire et le Règlement Taxonomie ne sont pas compatibles. Nous pensons par conséquent avoir des arguments importants non seulement sur le plan politique, mais aussi sur le plan du droit européen. Maintenant, il s’agit de faire valoir notre point de vue dans le cadre des négociations actuelles sur la proposition de la Commission européenne. Si cela n’aboutit pas, mon gouvernement se réserve le droit d’engager un recours juridique.

Propos recueillis par Christelle GUIBERT, (Ouest-France), article publié le vendredi 7 janvier 2022 à 20h01

Photo en titre : En Autriche, les militants antinucléaires du mouvement AtomStopp. © AtomStopp

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