LES EXPERTS DISENT NON AU GAZ ET AU NUCLÉAIRE DANS LA TAXONOMIE EUROPÉENNE

Le passage en force de la Commission qui a publié le 31 décembre peu avant minuit un texte définissant les modalités d’inclusion du gaz et du nucléaire dans la future taxonomie, a déclenché une contre-offensive sans précédent. Alors que ce projet déchire les États membres, la plateforme de la finance durable, qui rassemble les experts chargés d’orienter la stratégie, vient d’émettre un avis négatif sur ce projet.

État des lieux des rapports de force.

Qui aurait dit que la taxonomie, référentiel technique d’activités durables imaginé en 2018, ferait la Une des journaux et aurait même une place dans les 20 h à la Télé en 2022 ? Il aurait fallu anticiper sur la place considérable qu’ont pris les débats sur l’énergie. L’urgence climatique qui devrait drastiquement réduire le recours aux énergies fossiles et l’augmentation considérable du coût de l’énergie en Europe, ont changé la donne. Ce contexte a sans doute été sous-estimé par la Commission quand elle a publié son projet d’Acte délégué complémentaire incluant le gaz et le nucléaire dans la taxonomie comme énergies de transition à certaines conditions. Elle a déclenché ce que d’aucuns appellent un « taxonomygate ».

Nouvel élément versé au dossier : le rapport à charge de la Plateforme de la finance durable qui rassemble les experts sélectionnés pour orienter les travaux de la Commission. Pour eux, cette future inclusion relève du greenwashing. Ils estiment que classer le gaz et le nucléaire comme énergies durables décrédibiliserait ce référentiel d’activités vertes, vraiment vertes. « Nous avons besoin de critères vérifiables plus précis pour éviter le green washing« , explique Helena Vines Fiestas, l’une des membres de la plateforme. « La taxonomie actuelle ne couvre que les activités durables à proprement parler et il ne faut pas miner sa crédibilité scientifique. Il faut réfléchir à d’autres voies pour intégrer le gaz et le nucléaire. On peut imaginer d’étendre la taxonomie à une nouvelle catégorie de couleur comme l’ambre (passage du marron au vert) qui ciblerait les moyens de faire transition dont peuvent disposer les industries européennes pour atteindre les objectifs environnementaux de l’Union« , poursuit-elle.

Ne pas verdir le gaz et le nucléaire

Sébastien Godinot, économiste du WWF et membre de la plateforme est encore plus catégorique. « Nous tirons la sonnette d’alarme pour que la Commission comprenne qu’elle doit écouter la science et abandonner sa proposition de verdir le gaz et le nucléaire, dit-il. Les gaz fossiles génèrent d’énormes émissions de gaz à effet de serre et le nucléaire crée des déchets hautement radioactifs que nous ne savons toujours pas gérer. » 

Les déchets radioactifs de l’industrie nucléaire se heurtent effectivement à un principe fondamental de la taxonomie, le DNSH pour Do No Signifiant Harm. Il suppose qu’une activité éligible à la taxonomie ne provoque pas par ailleurs de sérieux dommages environnementaux.  C’est une des raisons pour laquelle plusieurs États membres sont aussi farouchement hostiles au projet d’inclusion des deux énergies controversées que les experts de la plateforme. L’Autriche et Le Luxembourg se disent prêts à engager une action devant la justice européenne si la Commission s’obstine. Le ministre luxembourgeois de l’Énergie, Claude Turmes estime même qu’elle commet « un abus de pouvoir en traitant une question aussi cruciale dans un « acte délégué », simple texte technique, supposé porter sur des points « non essentiels« .

Sur le papier, ce fameux Acte Délégué du 31 décembre pourrait passer malgré ce front du refus. Les États membres avaient jusqu’à vendredi minuit pour réclamer des modifications à la Commission, avant qu’elle ne publie le texte définitif qui sera adopté au bout de quatre mois, sauf si une majorité simple au Parlement européen ou une majorité qualifiée de 20 États au Conseil, s’y oppose. Les détracteurs du projet s’activent pour réunir une de ces deux conditions. Ils ont déjà réussi à lancer une discussion politique de premier plan sur le projet de taxonomie et les activités qui doivent y figurer.■

Par Anne-Catherine HUSSON TRAORE, publié le 24/01/2022

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