Éditorial : L’appel des dirigeants de TotalEnergies, EDF et Engie à une réduction de la consommation d’énergie souligne en creux le retard pris par le gouvernement pour inciter les Français à changer véritablement leurs comportements.
Il est assez rare que des entreprises incitent leurs clients à moins acheter les produits qu’elles commercialisent. Pourtant, les dirigeants des trois énergéticiens français, TotalEnergies, EDF et Engie viennent de lancer un vibrant appel, publié le 26 juin dans Le Journal du dimanche, pour enjoindre aux Français de réduire leur consommation de pétrole, d’électricité et de gaz.
Patrick Pouyanné, Jean-Bernard Lévy et Catherine MacGregor alertent l’opinion sur les fortes perturbations qui fragilisent le système énergétique français. Les tensions liées au conflit russo-ukrainien ainsi que la réduction des capacités de production d’énergie d’origine nucléaire et hydraulique mettent à rude épreuve notre approvisionnement, soulignent-ils, avant d’appeler à un effort « immédiat, collectif et massif » de la part des Français.
La force et la pertinence de cet appel ne font que souligner en creux l’absence de discours des pouvoirs publics sur le sujet de la sobriété. La crise énergétique a commencé dès l’été 2021, avec une forte envolée des prix, que l’invasion de l’Ukraine par la Russie a portée à son paroxysme depuis quatre mois. À part quelques déclarations isolées, le gouvernement tarde à lancer une grande campagne pour inciter les Français à changer véritablement leurs comportements en matière énergétique. « Le prix de l’énergie menace notre cohésion », clament les dirigeants dans la tribune. Une phrase qui aurait sans doute encore beaucoup plus de retentissement si elle était prononcée et assumée au sommet de l’État.
Une efficacité surprenante
Fin février, Emmanuel Macron aurait pu saisir l’occasion de la présentation de son plan sur la transformation du mix électrique pour sensibiliser les Français sur leur consommation. L’instauration du bouclier énergétique ou la baisse de 18 centimes du prix de l’essence auraient pu également être des moments-clés pour lancer une mobilisation nationale qui tarde à prendre forme. Pendant que le gouvernement allemand n’hésite pas à déclencher un seuil d’alerte sur l’approvisionnement en gaz du pays, appelant ses citoyens à un « effort national », la France se contente d’un discours diffus et peu audible.
Deux événements peuvent expliquer la prudence du gouvernement. D’abord, le mouvement des « gilets jaunes », qui avait éclaté sur une injonction fiscale maladroite à participer à la transition énergétique. Par ailleurs, les Français sortent à peine de deux ans de contraintes liées à la pandémie de Covid-19. Il faut sans doute faire preuve de la plus grande pédagogie pour les convaincre de renoncer en partie à leur confort énergétique.
Celle-ci consiste d’abord à rappeler que la sobriété, sous des dehors prosaïques, peut se révéler d’une efficacité surprenante. Les exemples du choc pétrolier de 1973 ou encore l’accident nucléaire de Fukushima montrent que, lorsque les efforts sont massifs et coordonnés, les économies d’énergie sont substantielles. Dans le cas japonais, la consommation d’électricité avait pu chuter de 15 % grâce à des gestes simples. La ruée sur les climatiseurs lors de la dernière vague de chaleur montre qu’il y a encore beaucoup de progrès à faire en matière de civisme énergétique.
Il faut aussi insister sur les vertus d’économies qui apportent des réponses aux trois défis auxquels nous sommes confrontés : le pouvoir d’achat, la transition écologique et l’indépendance énergétique. Enfin, le gouvernement doit expliquer clairement que la sobriété est une moindre contrainte que le rationnement. Or, si la première n’est pas acceptée, c’est le second qui finira par s’imposer.
Surconsommation : l’impasse, une série en cinq volets
- Urgence climatique : le défi de la sobriété
La réduction des émissions de gaz à effet de serre se heurte au maintien de nos modes de vie
Le difficile découplage entre activité économique et émissions de gaz à effet de serre
« Face à l’urgence climatique, le camp de l’adaptation et celui de la rupture »
- Transport
L’absolue nécessité de repenser nos modes de transport
Le « faux débat » du renouvellement du parc automobile
La sobriété touristique, « combat culturel » et ferroviaire
Le « flygskam », la honte de voler, bouscule les avionneurs
- Agroalimentaire
Pourquoi notre système alimentaire est intenable pour la planète
Les multiples vertus de l’autoproduction
Le grand écart des Français devant leur assiette
- Consommation
Consommer… jusqu’à l’écœurement
« Acheter agit comme une drogue, le bien-être est alors un leurre »
À Créteil Soleil, dans le plus grand Primark de France, temple de la fast fashion
Sobriété : Vers une limitation de l’usage du numérique ?
- Habitat
Rénovation, densification, chasse aux logements vides… l’habitat, un modèle à déconstruire
À Auch, des familles s’essaient au logement participatif dans un ancien couvent
Quand des villes mutualisent l’utilisation des bâtiments publics
Publié le 28 juin 2022 à 12h00
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/06/28/sobriete-energetique-la-necessite-d-un-discours-public_6132346_3232.html
Commentaires récents