La Russie a été écartée de la commémoration du bombardement d’août 1945 dans la ville japonaise martyre. En cause : les déclarations de Vladimir Poutine après l’invasion de l’Ukraine.
La cérémonie du 77ème anniversaire du bombardement atomique sur Hiroshima, le 6 août 1945, s’est déroulée cette année sur fond de crainte du retour à l’arme nucléaire et de la volonté du premier ministre japonais, Fumio Kishida, d’agir pour la disparition de ces armes. Organisée comme à l’accoutumée devant le cénotaphe érigé en souvenir des 140 000 victimes du bombardement, la cérémonie, samedi 6 août, a réuni 3 000 personnes, dont des hibakusha (survivants) et les représentants de 98 pays.
La Russie et la Biélorussie n’étaient pas invitées en raison du conflit en Ukraine. L’ambassadeur russe, Mikhail Galouzine, avait néanmoins fait le déplacement le 4 août et déposé une gerbe sur le monument. S’il a salué « l’attitude positive de la Russie envers la réduction des armes nucléaires », il a « regretté » de ne pas avoir été convié à la cérémonie.
Son pays a été la cible de critiques du maire d’Hiroshima, Kazumi Matsui. Dans sa traditionnelle déclaration pour la paix, ce dernier a dénoncé l’attitude de « certains [qui] en viennent à menacer d’utiliser les armes nucléaires », en référence aux déclarations du président russe Vladimir Poutine, peu après l’attaque de l’Ukraine, le 24 février. Également présent, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est inquiété des « crises à forte connotation nucléaire » qui « se propagent rapidement, du Moyen-Orient à la péninsule coréenne en passant par l’invasion de l’Ukraine par la Russie ». Pour M. Guterres, l’humanité « joue avec un pistolet chargé ».
Une grue de papier
Quant à M. Kishida, il a déploré que la dynamique de réduction des arsenaux soit enrayée. La question lui tient à cœur pour des raisons personnelles. Sa famille est originaire d’Hiroshima, ville dont il est aussi député. Et, dans sa jeunesse, il a été sensibilisé au bombardement par sa grand-mère. La lutte pour la disparition des armes nucléaires apparaît de ce fait indissociable de son action. Ministre des affaires étrangères de 2012 à 2017, il s’est démené pour la venue à Hiroshima, en mai 2016, de Barack Obama, premier président américain en exercice à rendre hommage aux victimes de la bombe atomique.
Depuis son arrivée à la tête du gouvernement en octobre 2021, Fumio Kishida poursuit sa mission. Malgré le scepticisme de son entourage, craignant qu’il ne se positionne sur une question aux résultats incertains, le premier ministre s’est rendu le 1er août à New York à l’ouverture de la conférence de révision du traité de non-prolifération (TNP). Pour lui, cet accord signé en 1968 présente le double avantage d’avoir déjà contribué à la réduction des arsenaux et de réunir à la fois les pays dotés des armes nucléaires et ceux qui n’en ont pas.
Il s’est présenté à la tribune avec une grue de papier – un symbole de paix depuis que Sadako Sasaki, adolescente d’Hiroshima, est morte en 1955 des suites d’une leucémie, après avoir tenté d’en réaliser 1 000 pour guérir, conformément à une légende japonaise. « Le TNP a servi de pierre angulaire au régime international de désarmement et de non-prolifération nucléaires pour la paix et la sécurité internationales. Le Japon est déterminé à le défendre fermement », proclama alors M. Kishida, premier chef de gouvernement nippon à assister à la conférence.
Attachés au pacifisme
Autre illustration de sa détermination : un projet appelé Plan d’action d’Hiroshima, grâce auquel il veut notamment parvenir à l’entrée en vigueur du traité d’interdiction des essais nucléaires (CTBT) – signé en 1996 mais jamais ratifié. Et l’annonce de la création d’un fonds de 10 millions de dollars pour permettre aux jeunes du monde entier de visiter Hiroshima et Nagasaki. Le premier ministre a par ailleurs prévu, en novembre, une conférence internationale sur le désarmement nucléaire à Hiroshima en présence de personnalités du monde entier. Barack Obama pourrait y participer. Il a aussi choisi Hiroshima comme ville hôte du sommet du G7 de 2023.
Son activisme ne déplaît pas à des Japonais toujours attachés au pacifisme, et aux hibakusha. Terumi Tanaka, de la Fédération des survivants des bombes A et H, a salué son discours de New York et la « référence au souhait des hibakusha de faire connaître au monde les horreurs des bombardements atomiques ».
Les efforts de M. Kishida soulèvent toutefois des critiques, en raison notamment de son désintérêt pour le traité d’interdiction des armes nucléaires (TPNW), conclu en 2017 et entré en vigueur en 2021. Poussé à le signer, notamment par le maire d’Hiroshima, pour qui le « TPNW renforce le TNP et le complète », le Japon a toujours refusé. Il dépend depuis 1967 du parapluie nucléaire de l’allié américain.
Les crises en cours, en Ukraine mais aussi autour de Taïwan, pourraient affecter les efforts du premier ministre. Elles donnent des arguments aux tenants d’un renforcement des moyens de défense du Japon. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a suscité des appels, entre autres de l’ex-chef du gouvernement Shinzo Abe, décédé depuis, en faveur du partage des armes nucléaires américaines entre alliés, sur le modèle de ce que fait l’OTAN en Europe. M. Kishida les avait alors rejetés.
Par Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance), publié le 7 août 2022 à 13h00
Photo en titre : Le premier ministre japonais, Fumio Kishida, prononce un discours lors de la cérémonie organisée pour le 77ème anniversaire du bombardement d’Hiroshima, à Hiroshima, le 6 août 2022.
https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/06/a-hiroshima-le-retour-de-la-menace-nucleaire-dans-les-conflits-inquiete_6137367_3210.html
Commentaires récents