Il est extraordinaire que les discussions autour de la prolongation des deux réacteurs nucléaires en Belgique n’évoquent guère la question. On ne peut pas oublier le coût des catastrophes comme celles de Tchernobyl, de Fukushima, de Three Mile Island et des autres.
Contribution externe : Une carte blanche de Marc Molitor, auteur de “Tchernobyl, déni passé, menace future ?”, Ed. Racine
C’est curieux, sinon extraordinaire, mais les discussions autour de la prolongation des deux réacteurs nucléaires en Belgique et surtout la pression de certains partis et acteurs pour la prolongation de tous les réacteurs, n’évoquent guère la question de la sécurité.
D’abord – quel paradoxe ! -, les alarmes les plus vives sont exprimées sur la situation de la centrale de Zaporija, sur la ligne de front du conflit ukrainien : mais pas un mot dans le débat, aucun rapport n’est fait avec un risque ici, probablement parce qu’on n’imagine pas que cela puisse arriver ici.
« L’Institut français de Radioprotection et Sécurité Nucléaire évalue à des montants proches (450 milliards d’euros) le coût d’un accident majeur en France. »
On oublie, dans le bilan global du nucléaire, le coût des deux catastrophes déjà survenues, de Tchernobyl et Fukushima. Plus de 500 milliards de dollars pour la première (1), si l’on compte l’ensemble des dégâts économiques et sociaux, entre 175 milliards (selon le gouvernement) et 640 milliards d’euros (selon le Japan Center for Economic Research) pour l’accident au Japon.
Si l’on retient un montant très minimum de 700 milliards de dollars rien que pour les deux accidents, c’est à peu près la valeur de 100 réacteurs nucléaires type EPR (2), et encore plus s’il s’agit du modèle classique PWR. Encore cela ne tient pas compte de Three Mile Island et d’autres accidents aux coûts plus limités. Pour l’avenir, l’Institut français de Radioprotection et Sécurité Nucléaire évalue à des montants proches (450 milliards d’euros) le coût d’un accident majeur en France
411 réacteurs, vieillissants, en activité dans le monde
Aujourd’hui, il y a 411 réacteurs en activité dans le monde (3), vieillissant, d’âge moyen de 31 ans. Ce serait sans doute un exercice laborieux, mais pas infaisable, de comparer la valeur actualisée du parc nucléaire mondial avec la valeur actualisée de l’ensemble des coûts de ces accidents et autres aléas. Mais il est fort à parier que la deuxième ne serait pas loin de la première. Bref, si on considérait le parc nucléaire mondial comme l’actif d’une seule entreprise – le secteur nucléaire – elle serait sans doute en faillite.
Mais ce n’est pas ce qui se passe. Pourquoi ? Parce que les coûts générés par ces accidents sont quasi entièrement socialisés, citoyens et contribuables les ont supportés, et pas le secteur nucléaire qui les a provoqués.
Dans ce passif à notre charge, on pourrait encore inclure les subsides publics historiquement très abondants pour le développement des réacteurs, de même que ceux destinés à l’arlésienne de la fusion nucléaire, puits sans fond de budgets publics (4). Et, dans le futur, ajoutons aussi la part du coût du démantèlement et de la gestion des déchets qui sera supportée par le citoyen.
Pour compléter le tableau, il faudrait ajouter 90 constructions de réacteurs abandonnées en cours de route…
Rappelons la plus forte densité (mondiale !) de population autour des centrales de Doel, la zone Seveso qui l’entoure, le nœud de communication qu’est le port d’Anvers, la quasi-impossibilité d’évacuer sa population en cas de problèmes.
On relance les habituelles promesses ou incantations sur les futurs SMR (Small Modular Reactors), sans les assortir de la moindre réflexion sur les enjeux de sécurité de ces mini-réacteurs qui pourraient être disséminés sur un territoire, y compris dans des villes, avec des risques accrus associés. D’ailleurs ils sont encore le plus souvent à l’état de concepts et, en outre, ne semblent en rien résoudre le problème des déchets. (5)
”Un pognon de dingue”
Décidément, tout ça “coûte un pognon de dingue”, pour paraphraser le président français Macron, qui parlait de sécurité… mais sociale !
Certains évoqueront toutes les émissions de CO² épargnées par le parc nucléaire depuis le début de son activité ? On pourrait répondre que ceux qui invoquent cet argument aujourd’hui n’y pensaient pas du tout il y a 50 ans. Mais passons sur cet argument, on pourrait surtout très facilement rétorquer que si ces sommes astronomiques avaient été – il y a 50 ans – investies dans les énergies renouvelables et les économies d’énergie, on n’en serait pas là.
Plus que par la crise ukrainienne ou la crise climatique comme un raisonnement superficiel peut le laisser penser, la décision de prolonger deux réacteurs est forcée par une inaction, en partie délibérée et en partie irresponsable, de différents acteurs politiques et économiques, elle eut donc pu être évitée. Que dire alors de l’idée de prolonger tout le parc et même de relancer massivement le nucléaire qui paraît déraisonnable – sinon insensée -, en termes de coût mais aussi de sécurité ?
Rappelons la plus forte densité (mondiale !) de population autour des centrales de Doel, la zone Seveso qui l’entoure, le nœud de communication qu’est le port d’Anvers, la quasi-impossibilité d’évacuer sa population en cas de problèmes… tous problèmes connus mais glissés sous le tapis.
Opinion publique et mensonges
Une autre considération peut porter sur la réaction de l’opinion publique en cas d’accident, alors que le pays serait engagé dans une vaste prolongation du nucléaire. Les pressions pour fermer tous les réacteurs ne seraient-elles pas énormes ? Pour le coup c’est le black-out assuré. À moins de… mentir (et se mentir) sur la gravité de la situation
Certes nous avons un organe de contrôle relativement robuste et Electrabel est une société respectueuse des procédures de sécurité. Mais l’histoire nous enseigne l’irruption de l’imprévu dans les accidents.
En 2011, après la sortie de mon livre sur Tchernobyl, je participais à un débat sur TV5, avec notamment le président de la Société française d’énergie nucléaire. En conclusion du débat, celui-ci déclara “vous savez, il y aura encore des accidents nucléaires… mais nous y ferons face ! ” … Le président de l’autorité de sécurité française l’a reconnu aussi : il y aura des accidents. Même s’il l’a dit pour forcer à une culture de sécurité qui précisément devrait les empêcher.
Je ne dis pas que cela aura lieu, mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Et pourquoi cela est-il absent du débat aujourd’hui, surtout quand tant d’alternatives existent ?
(1) 235 milliards pour le Belarus, données validées par la Banque mondiale, presque la même chose pour l’Ukraine (gouvernement) et plus limitées pour la Russie.
(2) Au coût officiel de 7 milliards pièce affichés par EDF, sans doute plus dans les chantiers existants.
(3) Cf rapport 2022 WNSIR – https://www.worldnuclearreport.org/
(4) Cf Yves Lenoir, “Changer l’or en plomb, l’alchimie de la fusion nucléaire : le NIF et ITER”, Mediapart, 24 décembre 2022.
(5) Cf “Nuclear waste from small modular reactors “, Lindsay M. Krall et al. , https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2111833119
Titre et chapô sont de la rédaction. Titre original : “Sécurité nucléaire ? Une assourdissante absence…”
Publié le 17-01-2023 à 10h36
https://www.lalibre.be/debats/opinions/2023/01/17/on-ne-peut-pas-accepter-lassourdissant-silence-a-propos-de-la-securite-nucleaire-en-belgique-G22BUSJ34BFUXJ4LYXTRD7WTKY/
Commentaires récents