La guerre en Ukraine relance le déploiement de projets au long cours dans le domaine de la conversion et de l’enrichissement de ce minerai nécessaire au fonctionnement des centrales nucléaires.
À l’étude en 2004, puis abandonné en raison de la morosité du marché à la suite de l’incident de Fukushima, ce projet d’extension ressort des cartons, porté cette fois par l’intérêt d’énergéticiens soucieux de réduire leur dépendance au russe Rosatom, un acteur quasi incontournable en matière d’enrichissement. Estimé entre 1,4 et 1,7 milliard d’euros, cet investissement permettrait à Orano d’augmenter d’un tiers environ ses capacités d’uranium enrichi civil pour espérer capter une partie des besoins aujourd’hui satisfaits par les Russes.
« Ce projet est vraiment lié au conflit et à la réduction de la dépendance aux approvisionnements russes, il n’est pas lié au nouveau nucléaire (ou) à la part de marché croissante du nucléaire dans la fourniture d’électricité », déclarait François Lurin, directeur du site Orano du Tricastin, mardi 1er février. « Il ne se fera que si nos clients en émettent un réel besoin », ajoutait-il alors que des négociations sont avancées avec plusieurs d’entre eux, notamment américains. Avant d’accorder son feu vert, le conseil d’administration veut effectivement être sûr de pérenniser son carnet de commandes sur les 10 ou 15 prochaines années au moins.
Une étape cruciale du cycle
Au-delà de ces garanties financières, le projet doit également faire l’objet d’une concertation préalable sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP) pour informer et consulter les Français. Celle-ci a démarré ce 1er février et se tiendra jusqu’au 9 avril. « La décision de faire ou pas ce projet doit en tout état de cause être prise cette année si l’on souhaite pouvoir mettre l’usine en service dès 2028 », poursuit la direction, bien consciente que son futur avantage concurrentiel repose en partie sur sa capacité à livrer au plus vite. « Nos clients vont avant tout acheter une sécurité d’approvisionnement », ajoute-t-elle, avançant l’argument selon lequel la Russie pourrait cesser ses exportations comme elle l’a fait pour le gaz. Ce qui, en l’état, conduirait à des « pénuries de combustibles nucléaires » et « des arrêts potentiels de centrales ».
Un argument réfuté par les antinucléaires : « Le projet d’extension de l’usine George Besse II ne garantira aucunement une fin de la dépendance à l’uranium enrichi russe à court terme », estime Pauline Boyer, responsable de la campagne nucléaire chez Greenpeace. De manière générale, « la souveraineté énergétique occidentale que garantirait le nucléaire est un leurre », ajoute-t-elle, pointant d’autres dépendances de l’atome français dont celle à l’uranium naturel, « cette matière première qui est enrichie dans cette usine, est intégralement importée de pays comme le Niger, le Canada, l’Ouzbékistan ou le Kazakhstan ».
L’enrichissement est une étape cruciale du cycle du combustible sans laquelle l’uranium naturel ne pourrait être directement utilisé dans les centrales nucléaires. D’ailleurs, le secret plane sur sa technologie. À l’intérieur de l’unité de George Besse II, nul ne peut en effet entrer sans badge ni sans s’être délesté de son téléphone portable, afin d’éviter tout espionnage industriel : « Le secret de fabrication des centrifugeuses est bien gardé », sourit Kévin Longuet de la Giraudière, le chef d’installation, qui est l’un des rares à pouvoir pénétrer dans la salle où se trouvent « ces bols cylindriques qui tournent à une très grande vitesse ». Seule une photo un peu floue laissant apparaître les contours de l’outil est collée au mur de l’annexe. Il faudra s’en contenter : « 300 personnes tout au plus ont pu voir ces centrifugeuses », ajoute-t-il.
De son côté, l’Europe n’a pas encore instauré de mesures aussi contraignantes. Même si le plan REPowerEU présenté le 18 mai 2022 par la Commission européenne milite d’ores et déjà pour une augmentation des capacités de conversion et d’enrichissement occidentales. À cette occasion, l’exécutif européen n’a pas manqué de rappeler que « cinq États membres (Bulgarie, Tchéquie, Finlande, Hongrie et Slovaquie) disposaient actuellement de réacteurs de type VVER en service sur leur territoire, qui dépendent tous pour le moment entièrement du combustible livré par un fournisseur russe ».
Selon le rapport « The World Nuclear Industry » dévoilé mardi 1er février, la Russie surplombe le marché en tant que fournisseur de technologie, avec 20 tranches en construction dans le monde à la mi-2022, dont seulement trois sur son propre territoire. Les 17 autres se répartissent entre sept pays, dont la Chine, l’Inde et la Turquie.
Photo en titre : Dans l’usine d’enrichissement d’uranium Georges Besse II, sur le site de Tricastin à Saint-Paul-Trois-Chateau, le 26 janvier 2023.
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