Jean-Christophe Niel, le patron de l’Institut de radioprotection de sûreté nucléaire, se trouve dans une situation particulièrement difficile et inconfortable depuis que le gouvernement a annoncé sa volonté de fusionner cet institut de recherche et d’expertise avec l’ASN, le gendarme du nucléaire. Fin connaisseur du monde de la sûreté nucléaire et apprécié des salariés pour ses qualités humaines, il ne peut monter au créneau pour les défendre, au risque de perdre sa place.
Une fenêtre de répit, après le rejet de ce projet de fusion par les députés, lui a permis, pour la première fois, de s’adresser de vive voix à ses effectifs. Sortis extrêmement soudés de ce premier acte, ces derniers anticipent la contre-attaque du gouvernement.
Mardi matin, Jean-Christophe Niel, le directeur général de l’Institut de radioprotection de sûreté nucléaire (IRSN) a réuni les salariés du site de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). Dans les prochains jours, il se rendra également à Cadarache (Bouches-du-Rhône), ainsi qu’au Vésinet (Yvelines), puis retournera à Fontenay-aux-Roses pour s’adresser à une autre partie des salariés.
Cette tournée dans les différentes implantations de l’institut n’est pas anodine. Il s’agit de son premier grand temps fort de communication en interne depuis qu’un vent de panique a soufflé sur l’institut, lorsque, le 8 février dernier, le gouvernement a annoncé vouloir le dissoudre au sein de l’Agence de sûreté nucléaire (ASN).
Ce projet de fusion entre le gendarme nucléaire et son bras technique est très contesté. Pour le personnel mais aussi de nombreux spécialistes, il est synonyme de perte d’indépendance, de transparence et de compétences à la veille d’une relance majeure de l’atome civil en France.
Depuis le 8 février, Jean-Christophe Niel s’était exprimé à deux reprises auprès des salariés, mais seulement à travers un e-mail puis un message vidéo dans lesquels il exprime entre les lignes son soutien aux équipes et sa volonté de préserver les missions de l’IRSN. « Dans cette vidéo, on comprend qu’il nous dit : je me bats du mieux de ce que je peux faire », rapporte Léa Marion, chargée de l’évaluation des risques radiologiques et nucléaires à l’IRSN. Le dirigeant avait aussi partagé ses craintes quant à la fuite de compétences que pourrait provoquer la fusion entre l’institut et le gendarme du nucléaire, lors de son audition devant les parlementaires. Mais, jusqu’à mardi, il n’y avait pas eu de prise de parole en direct.
Dans une situation délicate et inconfortable
Et pour cause, Jean-Christophe Niel se trouve dans une situation extrêmement délicate et inconfortable depuis le début de cette crise. D’abord, il semble qu’il n’ait pas été impliqué dans ce projet de fusion, décidé le 3 février dernier, lors du Conseil de politique nucléaire, réuni par Emmanuel Macron, et auquel l’IRSN n’était pas convié. « Je suis convaincu par sa parole. Il a découvert les faits le samedi 3 au soir », assure Philippe Bourachot, délégué CGT à l’IRSN.
Ensuite, il n’est pas salarié de l’IRSN, mais travaille au service de l’État et est nommé en conseil des ministres. « Il se retrouve donc coincé avec, d’un côté, la ministre [de la Transition énergétique, ndlr] qui lui reproche de ne pas tenir ses troupes, et de l’autre, un collectif qu’il avait sous-estimé », pointe une personne de son entourage.
Dans les rangs de l’institut, certains s’inquiètent de sa potentielle éviction. « S’il s’engage trop auprès des salariés, il va sauter. Il est très souvent convoqué chez la ministre. Est-ce qu’on ne va pas le démissionner ? », s’interroge un salarié. Une telle décision rajouterait toutefois « du bruit au bruit », pointent d’autres collègues. « Son départ serait une très mauvaise nouvelle car cela entraînerait une période d’incertitude. Surtout, qui pourrait le remplacer ? Quelle personne compétente voudrait s’investir dans cette boutique avec la menace d’être évincée ? Cette personne serait sans doute téléguidée, viendrait avec une lettre de mission. Il y aurait alors une certaine défiance de la part des salariés », commente Hervé Bodineau, adjoint au directeur de l’expertise de sûreté à l’IRSN.
Jean-Christophe Niel, aux manettes de l’IRSN depuis 2016 et renouvelé en 2021 pour un deuxième mandat, est apprécié de ses équipes. « C’est l’ancien directeur général de l’ASN. Il connaît parfaitement les deux maisons et, à la base, c’est un technicien », souligne Philippe Bourachot. Docteur en physique théorique, passé par Polytechnique et l’École nationale des Ponts et Chaussées, Jean-Christophe Niel baigne, en effet, dans la sûreté nucléaire depuis de nombreuses années. Il a notamment été en charge du contrôle du cycle du combustible, du contrôle des déchets radioactifs et du contrôle des installations du CEA à la Direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) de 1991 à 1995.
Un patron expert et apprécié
Il rejoint ensuite l’IRSN, où il devient chef du département d’évaluation de sûreté, puis directeur de la stratégie, du développement et des relations extérieures. Après une parenthèse d’un an au ministère de l’Équipement et des Transports, il devient, en 2007, directeur général de l’ASN. Poste qu’il occupe pendant près de neuf ans.
Ses qualités humaines lui sont aussi reconnues. L’homme d’une soixantaine d’années est décrit par certains salariés comme « quelqu’un de très humain ». « Il serre la paluche et vous appelle par votre prénom », raconte Hervé Bodineau.
S’il a pris la parole mardi, c’est qu’une légère accalmie s’était installée. La semaine dernière, le projet de fusion entre l’ASN et l’IRSN a été rejeté par les députés grâce à un amendement au projet de loi d’accélération du nucléaire, actant la dualité de la gouvernance de la sûreté nucléaire, rendant caduc le projet de fusion des deux entités. Le texte a été adopté mardi en fin d’après-midi à l’Assemblée nationale.
« Nous avons eu le sentiment qu’il nous disait que le projet de fusion était écarté », rapporte Léa Marion, que nous avons rencontrée à l’issue de la réunion sur le site de Fontenay-aux-Roses. Mais le répit pour Jean-Christophe Niel et ses troupes n’est sans doute que de courte durée. Tous gardent bien en tête l’article 9A de ce même texte de loi, actant la préparation dans les six mois à venir d’un rapport par le gouvernement explicitant les modalités de mise en œuvre de cette réforme.
« Le gouvernement est sorti par la porte, mais je n’écarte pas qu’il puisse revenir par la fenêtre », lance Philippe March, adjoint au chef de service, chargé des activités de recherches sur les incendies et les explosions. « Ce projet de fusion peut nous revenir comme un boomerang. Il faut que nous préparions un dossier béton », renchérit Léa Marion.
De fait, la ministre de la Transition énergétique a déclaré mercredi au Sénat que le gouvernement comptait bien « boucler » cette fusion IRSN-ASN.
Mener une revue stratégique
Face à la persévérance de l’exécutif, quelle option pour Jean-Christophe Niel ? Comment soutenir ses équipes, sans déclencher les foudres du gouvernement ? Le patron de l’IRSN a tout simplement choisi de poursuivre sa feuille de route. Mardi, il a donné le coup d’envoi d’une revue stratégique des activités de l’institut. Celle-ci était prévue de longue date dans un contexte de fragilité budgétaire, pointée par la Cour des comptes lors d’un audit en 2021.
Jean-Christophe Niel a ainsi demandé aux salariés de former des groupes de travail. « Ce sont des groupes miroirs de ceux mis en place par le gouvernement », précise Philippe Bourachot. Ces derniers portent sur les missions de l’institut, les aspects statutaires et de ressources humaines, les sujets budgétaires et financiers et les évolutions réglementaires. L’IRSN formera, en plus, un cinquième groupe de travail sur les outils informatiques. « L’idée est de consolider tout ce que l’on a construit ces 20 dernières années et de requestionner ces piliers », explique Philippe Bourachot. Dans cette optique, l’intersyndicale de l’IRSN doit rencontrer, dès la semaine prochaine, le directeur de la transformation pour définir le cadre de ces groupes de travail.
Reste que Jean-Christophe Niel, s’il parvient à rester en selle, devra forcément mener cet exercice dans un tout autre état d’esprit que celui anticipé, tant les salariés ont été nombreux à manifester leur envie d’y participer. De cette tempête est né « un collectif énorme », témoigne Eric Letang, adjoint au directeur de l’expertise. « Tout le monde est main dans la main. Il y a une cohésion extrêmement forte. Cela a soudé les salariés à tous les échelons », abondent d’autres salariés. « La ministre nous a payé un énorme team building », osent-on encore plaisanter.
Par Juliette Raynal, publié le 23 mars 2023 à 08h16
Photo en titre : Jean-Christophe Niel dirige l’IRSN depuis 2016. Son mandat a été renouvelé en 2021. Il devrait donc, en théorie, rester aux manettes de l’institut pendant encore trois ans, mais son avenir est très incertain. (Crédits : DR)
https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/surete-nucleaire-jean-christophe-niel-le-patron-de-l-irsn-sur-le-fil-du-rasoir-956212.html
Commentaires récents