DÉMOCRATIE, SÛRETÉ… POURQUOI LA LOI SUR LE NUCLÉAIRE POSE PROBLÈME

Le projet de loi d’accélération du nucléaire est arrivé à l’Assemblée nationale le 13 mars. Un texte qui pose trois problèmes majeurs, selon les députés de la Nupes.

Le débat à l’Assemblée nationale s’annonce atomique. Le projet de loi d’accélération du nucléaire, censé faciliter la construction de six nouveaux réacteurs et la prolongation du parc existant, est arrivé dans l’hémicycle le 13 mars à 16 heures. Ses opposants n’ont pas attendu ce moment pour démonter le texte. Le 10 mars, les écologistes ont invité un parterre d’experts pour une masterclass sur le nucléaire à destination de la presse ; lundi, c’était au tour de députés de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) de s’exprimer auprès des journalistes. Voici les principaux problèmes qu’ils pointent.

Le projet de loi n’est pas démocratique

La loi d’accélération du nucléaire avait été présentée comme une loi technique de simplification administrative. Les sénateurs lui ont donné un caractère plus politique, en y introduisant un plancher de 50 % de nucléaire dans le mix électrique. Un amendement du gouvernement, adopté en commission des affaires économiques, a supprimé ce seuil et renvoyé la question à la loi de programmation énergie climat, qui devrait être discutée cet été. Mais dans l’article 1er figure toujours le projet de construction de quatorze nouveaux réacteurs. « C’est le scénario le plus nucléarisé des six scénarios de RTE qui a d’ores et déjà été décidé », a déploré la députée La France insoumise (LFI) Aurélie Trouvé.

Globalement, les opposants rejettent un texte qui favorise les passages en force. « On peut se demander si les retards de l’EPR de Flamanville étaient vraiment dus à des procédures administratives excessives, a ironisé Julie Laernoes, députée écologiste. Pourtant, dans ce projet de loi, on passe sur les autorisations environnementales, sur les permis de construire, pour gagner quelques mois — sans certitude, puisque ça reste assez flou dans les réponses de la ministre [Agnès Pannier-Runacher]. »

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Sur la forme, députés de la Nupes et associations ont condamné un calendrier organisé pour tuer le débat. « L’examen de ce texte a débuté au Sénat en plein pendant le débat public sur la relance du nucléaire et va se terminer à l’Assemblée nationale avant même que le rapport présentant les conclusions de ce débat n’ait été rendu », a observé Mathilde Damecour, chargée de campagne au réseau Sortir du nucléaire. Pour Aurélie Trouvé, il va aussi « court-circuiter les débats sur les trajectoires énergétiques globales que nous aurions dû avoir dans le cadre de la loi de programmation énergie climat ».  

L’État cherche plus de 50 millions d’euros pour financer les nouveaux EPR2. Ici, la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine. Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Clicgauche

Par ailleurs, la loi d’accélération du nucléaire ne pourrait pas être adoptée sans le soutien de la droite et surtout de l’extrême droite, a remarqué Julie Laernoes : « La même extrême droite qui nie encore l’existence même du changement climatique, qui prévoit de construire dix nouvelles centrales d’ici 2031 et dix supplémentaires d’ici 2036 — alors qu’aucun industriel ne dit que c’est possible —, qui veut instaurer des zones de défense autour des centrales nucléaires et qui, pour résoudre les problèmes liés aux sécheresses, a proposé dans un amendement d’installer des collecteurs d’eau de pluie à côté des réacteurs. » Le réseau Sortir du nucléaire, lui, n’a pas manqué de rappeler que la rapporteure du texte Maud Bregeon a travaillé comme ingénieure nucléaire à EDF jusqu’en juillet dernier, ce qui pose selon l’association « d’évidents problèmes d’impartialité ».

Cette coalition pronucléaire a prévu de mener la vie dure aux antinucléaires. L’article 13 prévoit le doublement des peines d’emprisonnement pour intrusion dans un site nucléaire. Un amendement adopté par le Sénat avec l’appui de la majorité et taillé sur mesure pour les militants de Greenpeace. « Nous demandons sa suppression et dénonçons la criminalisation des militants écologistes », a déclaré Aurélie Trouvé.

Le projet de loi ne tient pas compte du changement climatique

Plusieurs reculs sur ce point ont été enregistrés lors du passage du texte en commission des affaires économiques. L’autorisation de construction de réacteurs nucléaires en zone inondable a été rétablie dans l’article 6. Quant à la prise en compte du changement climatique dans les démonstrations de sûreté, elle a été supprimée via l’adoption des amendements de Maud Bregeon et du gouvernement.

Une aberration, ont réagi en chœur les associations et les députés de la Nupes, en dégainant une ribambelle de chiffres. Le nucléaire consomme 5,3 milliards de mètres cubes d’eau chaque année, a rappelé le réseau Sortir du nucléaire. « 30 % de l’eau douce est consommée par le nucléaire, ce qui en fait le deuxième consommateur après l’agriculture. Cigéo [projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure] consommera entre 200 et 500 m3 d’eau par jour. Ce besoin conséquent va se confronter à une réalité climatique implacable de baisse de disponibilité de la ressource », prédit l’association.

Les opposants au nucléaire ont manifesté à Tours le 16 février 2023. © Fanny Lancelin / Reporterre

Ceci, alors que le nucléaire ne sauvera pas le climat. D’après le sixième rapport du Giec, il faut réduire de moitié nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, a rappelé Pauline Boyer, chargée de campagne à Greenpeace. « Or, il faut quinze à vingt ans pour construire une centrale nucléaire. On n’est pas dans le bon agenda climatique. »

Le projet de loi supprime l’IRSN, acteur majeur de la sûreté nucléaire

Le gouvernement a introduit deux amendements dans le texte, qui prévoient que les missions d’expertise et de recherche de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) soient intégrées à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Ce projet de démantèlement de l’IRSN a été validé en commission des affaires économiques. Mais le Sénat n’a pas donné son avis — il avait déjà fini d’examiner le texte lorsque le gouvernement a annoncé cette réforme majeure du système de sûreté nucléaire français — et les débats dans l’hémicycle s’annoncent vifs.

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« Cette réforme a été menée de manière extrêmement précipitée par voie d’amendement par le président Macron, ce qui lui permet d’éviter une étude d’impact, un avis du Conseil d’État et toute la concertation avec les salariés et la direction sur un sujet pourtant extrêmement sensible », a accusé Aurélie Trouvé. La députée LFI a annoncé que la Nupes rejetterait d’un bloc cette réforme et a appelé les députés Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires (Liot), MoDem, Horizons et Renaissance opposés à ce démantèlement à les imiter.

Lors du rassemblement des salariés de l’IRSN, à Paris le 28 février 2023, Patrick Lejuste et Nicolas Brisson ont exposé leurs incertitudes quant à leurs futures missions. © Émilie Massemin / Reporterre

La Nupes réussira-t-elle à affaiblir le texte ? Les associations antinucléaires à convaincre de sa dangerosité ? Car tout au long de la semaine, c’est une manche de la bataille culturelle sur le nucléaire qui va se jouer dans l’hémicycle. Les partisans de l’atome partent avec une longueur d’avance, ont reconnu les opposants au texte. « Après Fukushima, on a cru qu’on avait gagné la bataille, a analysé l’eurodéputé écologiste Yannick Jadot. D’un seul coup, l’accident nucléaire devenait possible dans un pays doté d’une industrie nucléaire puissante et instruit des risques. Et puis, la rationalité économique se situe du côté des énergies renouvelables. Mais on a sous-estimé la puissance de ce lobby sortant de toute logique, racontant tout et n’importe quoi sans être jamais contredit. »

Pour créer les conditions d’un véritable débat d’ici la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie, Julie Laernoes a déposé une proposition de résolution pour la création d’une convention citoyenne sur la relance du nucléaire. « Ce débat-là semble essentiel avant d’opérer un tel revirement de politique énergétique. »

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