SIX GRAPHIQUES POUR (ENFIN) COMPRENDRE LE DÉBAT SUR L’ÉNERGIE EN FRANCE

Une commission d’enquête de l’Assemblée nationale se penche sur l’épineuse question de l’énergie en France. L’occasion, en données, de mieux comprendre quelques grands principes inhérents à ce débat.

Production, gigawatt, Fessenheim… des termes reviennent souvent dans les débats enflammés autour de l’énergie en France. Le nucléaire notamment, fleuron industriel et repoussoir d’une majorité d’écologistes, se trouve régulièrement au cœur des débats.

Or depuis octobre 2022, une commission d’enquête de l’Assemblée nationale s’est saisie d’une partie de ce sujet. Son ambition ? « Établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France ». Présidée par le député alsacien Raphaël Schellenberger (Les Républicains), elle auditionne depuis l’automne des noms prestigieux du secteur de l’énergie.

Le très médiatique Jean-Marc Jancovici faisait partie des premiers interrogés. Ont défilé depuis trois anciens PDG d’EDF : Pierre Gadonneix (2004-2009), Henri Proglio (2009-2014) et Jean-Bernard Lévy (2014-2022).

Ou encore l’ex-patronne d’Areva, Anne Lauvergeon, ainsi que deux anciens présidents de la République : Nicolas Sarkozy et François Hollande, le 16 mars 2023. Ces deux auditions sont les dernières avant l’examen du rapport, prévu le 30 mars.

Ces auditions, accessibles en ligne en rediffusion, permettent de « refaire le récit des choix qui nous ont conduits à cette situation et surtout formuler des propositions ou injonctions pour éviter de revenir à cette situation, » explique Raphaël Schellenberger.

Elles permettent aussi de trouver des « coupables » à la situation complexe d’EDF : l’Allemagne, l’Union européenne et son marché de l’électricité, l’Arenh, les responsables politiques depuis 10, 15 ou 20 ans…

L’intérêt de cette commission d’enquête réside en réalité sur ses hypothèses de travail. Elles méritent d’être éclaircies, afin de mieux appréhender son rapport final, prévu en avril 2023.

La France a dû importer de l’électricité

VRAI. L’année 2022 a marqué un changement profond dans les échanges d’électricité en Europe sur un an : la France, longtemps première exportatrice d’électricité, est devenue importatrice nette l’année précédente. Les importations d’électricité augmentent régulièrement depuis plusieurs années, passant de 26 TWh en 2018 à 44 TWh en 2021.

Ce qui fait écrire dans la courte présentation de la commission d’enquête qu’il existe une « hausse substantielle des importations d’électricité ces dernières années. »

C’est vrai, mais attention ! La moyenne des importations sur la période 2018 – 2021 est de 33 Twh, quasiment la même que sur la période 2005 – 2017 (32 TWh). L’année 2022 a pu être exceptionnelle, et le retour progressif des réacteurs nucléaires à l’arrêt a changé la donne. Début janvier 2023, la France est redevenue exportatrice d’électricité.

Fessenheim aurait changé la donne

FAUX. Le débat autour du manque de production électrique est devenu avant tout politique. Mais d’un point de vue comptable, difficile de dire que la centrale alsacienne, d’une puissance de 1,76 GW et fermée en 2020, aurait changé la situation.

« Si on avait 2 GW de nucléaire en plus on se poserait beaucoup moins la question, Fessenheim c’était que 2 GW mais c’est ce qui manque », affirme le président de la commission d’enquête.

Au plus bas de la capacité nucléaire, atteint à l’été 2022, seulement 25 GW sur les 61 GW étaient disponibles (moins de la moitié des 56 réacteurs français).

Le 1,76 GW de Fessenheim n’aurait donc pas changé fondamentalement l’équation, la chute de capacité nucléaire étant largement due aux travaux de maintenance (grands carénages) et aux problèmes de corrosion dans certains réacteurs. Même si ceux-ci peuvent repartir, alors que ceux de Fessenheim sont en effet « perdus » pour la production nucléaire.

La France perd des capacités de production

FAUX. « Depuis une dizaine d’années, 13 GW de production électrique pilotables ont été fermés », affirme Raphaël Schellenberger. Ce qui est vrai. Plus précisément, depuis 2012, la France a perdu 9,85 GW de capacité thermique et a fermé la centrale nucléaire de Fessenheim (1,76 GW).

Mais elle a entre-temps gagné 21,8 GW d’énergies renouvelables. Le gain est donc net. Le débat repose donc davantage sur la notion de pilotage, c’est-à-dire l’activation rapide des sources d’énergie.

L’indépendance énergétique baisse

FAUX. Dans son titre même, le rôle de la commission est d’établir « les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France ». Pourtant, la France n’a jamais été indépendante énergétiquement.

Ou pas « depuis que nous sommes rentrés dans l’ère des combustibles fossiles », explique Jean-Marc Jancovici lors de son audition. L’indépendance, c’est « l’autosuffisance, on en est loin et on a toujours été très loin », admet Raphaël Schellenberger.

Et si le nucléaire assure une majorité (67 % en 2020) de la production d’électricité, ce n’est pas le cas pour l’énergie plus largement. Le nucléaire assure 40 % du mix énergétique primaire, le pétrole encore 28 % et le gaz presque 16 %.

Or la France importe son uranium, son pétrole et son gaz. Résultat, selon les bilans annuels du ministère de la Transition écologique, le taux d’indépendance réel (rapport entre la production et la consommation nationale d’énergie primaire) est proche des 12 %. « Il évolue relativement peu depuis le début des années 1990 », soulignait le ministère dans le rapport 2019.

L’Hexagone perd aussi sa souveraineté

FAUX. Côté souveraineté, le député y voit la « maîtrise des vulnérabilités. On sait que l’on est dépendant mais pour chaque dépendance on assure une sécurité d’approvisionnement, une stratégie de gestion de crise. »

La France aurait donc moins de sources d’approvisionnement qu’avant ? Jusqu’en 2022, c’était plutôt l’inverse.

Pour le gaz, l’approvisionnement entre 2010 et 2020 a peu évolué, la Norvège reste le premier fournisseur, devant la Russie.

Pour le pétrole, la France en importe deux fois moins en 2021 qu’en 2011, et les approvisionnements sont assez stables : la France a réduit ses importations russes, pour augmenter celles venant d’Afrique.

L’invasion russe de l’Ukraine, les sanctions économiques entre l’Europe et la Russie font que la situation en 2022 est évidemment bien différente des autres années. La Russie représentait jusque-là environ 8 % de nos importations en pétrole et 17 % de celles en gaz.

Pour l’or noir comme pour le gaz, l’Hexagone semble capable de diversifier rapidement ses sources d’approvisionnement, et ne pas se retrouver lié à un seul pays, gage d’une perte de souveraineté.

Concernant l’uranium naturel en revanche, la France semble avoir moins de fournisseurs aujourd’hui qu’il y a quelques années. Le graphique ci-dessous, obtenu auprès du Comité technique Euratom, montre les fournisseurs d’Orano (ex-Areva), lui-même principal fournisseur d’EDF.

Mais l’entreprise publique peut se fournir auprès d’autres pays. EDF ne communique pas la lise précise de l’origine de ses approvisionnements.

D’après des données fournies à Ouest-France par le comité technique Euratom, la France comptait 9 fournisseurs d’uranium naturel en 2005, avant un pic à 13 en 2011 ; depuis 2019, ils ne sont plus que 5.

Concernant l’uranium enrichi, la France reste dépendante de la Russie, comme révélé récemment.

Par Jean-Marie CUNIN, publié le 18 mars 2023

Photo en titre : La centrale nucléaire de Civaux, en France. © REUTERS

https://www.msn.com/fr-fr/actualite/france/six-graphiques-pour-enfin-comprendre-le-d%C3%A9bat-sur-l-%C3%A9nergie-en-france/ar-AA18MpE0?ocid=Peregrine

NDLR: Heureusement qu’il y a parfois de bons journalistes pour relever les mensonges de certains politiques!