Longtemps niés, les impacts du changement climatique sur les centrales nucléaires deviennent une évidence. C’est ce que rappelle un rapport de la Cour des comptes remis au Sénat fin mars.
Le déni de réalité dans lequel se sont réfugiés les dirigeant du complexe nucléaire et les pouvoirs publics depuis des décennies se fissure chaque jour un peu plus. Au début du mois de mars 2023, la découverte par EDF d’une nouvelle fissure sur une tuyauterie de secours d’un réacteur de la centrale de Penly (Seine-Maritime) confirmait que la construction des centrales dans les années 1970 et 1980 avait aussi rencontré son lot de problèmes, passés sous silence jusqu’à présent.
Sénat et Cour des comptes, de… dangereux anti ?
Trois semaines plus tard, c’est la sensibilité du parc nucléaire en exploitation – et des futurs réacteurs EPR 2 (une version simplifiée de l’EPR de Flamanville) qui pourraient être construits – aux impacts du changement climatique qui vient d’être officialisée dans un rapport réalisé par une institution que les soutiens les plus ardents de l’atome ne peuvent accuser de dogmatisme antinucléaire : la Cour des comptes. Et c’est la commission des finances du Sénat, guère susceptible non plus d’être taxée d’antinucléaire, qui a fait la commande auprès des magistrats de la rue Cambon.
Mardi 21 mars dernier, Annie Podeur, présidente de la 2ème chambre de la Cour des comptes, est donc venue présenter les conclusions de son rapport sur l’adaptation au changement climatique du parc de réacteurs nucléaires aux parlementaires, au cours d’une audition à laquelle participaient des représentants de l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) et d’Electricité de France. Dans ce volumineux document de 106 pages, la Cour ne s’est pas contentée d’analyser les coûts passés, présents et futurs du changement climatique, tels que l’électricien a pu les identifier dans ses comptes. Elle a aussi passé au crible sa politique d’adaptation.
Un peu solennellement
S’il n’est pas question dans ce rapport de dresser le procès d’EDF (on reste entre personnes de bonne compagnie), les quelques critiques orales adressées par Anne Podeur au groupe public montrent qu’au-delà de sa communication publique EDF demeure réticente à prendre en compte la réalité du changement climatique. « Les conséquences du changement climatique vont affecter et affectent déjà à des degrés divers mais croissants les réacteurs du parc national actuel. Je le dis un peu solennellement, ils affecteront encore plus les projets de constructions de nouveaux réacteurs susceptibles d’entrer en service à partir de 2035 », a d’abord constaté la magistrate.
« Une prise de conscience des impacts du changement climatique, accélérée sans doute à la suite du sixième rapport du GIEC […] mais surtout à la suite de l’été 2022 avec ses éléments caniculaires. » À la Commission des finances du Sénat, Annie Podeur, présidente de la 2ème chambre de la Cour des comptes, présente le rapport sur l’adaptation du parc de réacteurs nucléaires au changement climatique.
Images Sénat
La Cour tire l’alarme
Après avoir énuméré les différents impacts sur les installations nucléaires et leur environnement, Anne Podeur a ensuite lancé une véritable alerte demandant à EDF de se montrer plus proactive qu’elle ne l’est. « Les nouveaux réacteurs seront soumis à des exigences beaucoup plus fortes au regard du changement climatique. Il faut considérer que cette dernière partie est une forme d’alerte adressée à l’ensemble des acteurs du nucléaire, a ainsi déclaré la présidente de la 2ème chambre. La Cour a constaté premièrement que les EPR2 ne comportent pas d’évolution technologique marquée, en particulier de systèmes de refroidissement sobres en eau, deuxièmement qu’il n’est pas tenu compte de l’hypothèse, certes estimée peu probable par le GIEC, d’une fonte des calottes glaciaires et qui provoquerait une hausse plus élevée du niveau de la mer. Or cette hypothèse extrême pourrait peser sur le choix des sites littoraux et sur la façon surtout d’engager de futurs chantiers. »
« J’insiste : les nouveaux réacteurs seront soumis à des exigences beaucoup plus fortes au regard du changement climatique » annonce Annie Podeur devant la Commission des finances du Sénat.
On peut comprendre les réticences d’EDF à prendre en considération ce scénario noir. « Quels que soient les scénarios du GIEC, on sait que le niveau de la mer va monter de 20 cm d’ici à 2050. A la fin du siècle, la hausse serait comprise entre 30 cm et 1 mètre en fonction des émissions de gaz à effet de serre. Mais on ne peut pas exclure 1,50 m ou 1,70 m s’il y a un effondrement de l’Antarctique de l’Ouest », expliquait ainsi début février à Libération Goneri Le Cozannet, docteur en géographie, chercheur au BRGM (unité « risques côtiers et changement climatique ») et coauteur du 6ème rapport d’évaluation du Giec consacré aux impacts, à l’adaptation et à la vulnérabilité au changement climatique en Europe et Méditerranée.
Ce scientifique détaillait aussi les deux zones côtières qui sont plus particulièrement à risque de submersion d’ici la fin du siècle : la plaine de Gravelines (Nord) et le Blayais (Gironde). Deux zones où sont déjà implantées des centrales nucléaires, et où EDF souhaite également construire de nouveaux réacteurs EPR 2 : Gravelines fait partie des trois sites retenus par l’électricien pour deux des six nouveaux réacteurs dont la construction doit être lancée avant la fin décennie, alors que Le Blayais figure dans la short-list du second programme de construction d’EPR 2, prévu par Emmanuel Macron lors de son discours de Belfort en février 2022.
Légende : Le 10 février 2022, sur le site GE Steam Power System de Belfort, Emmanuel Macron annonçait un vaste plan de relance du nucléaire civil.
Capture d’écran Élysée
Les pieds dans l’eau…
Comment assurer la sûreté de réacteurs nucléaires si la centrale se retrouve entourée d’eau ? Une question à laquelle EDF va devoir répondre car elle lui a été posée directement par l’Autorité de sûreté nucléaire, fin janvier. « Dans une perspective de fonctionnement à long terme, les conséquences des évolutions climatiques sur les installations nucléaires actuelles ou à venir doivent être davantage anticipées, avait ainsi déclaré son président Bernard Doroszczuk, devant la presse le 23 janvier. Le risque d’aléas sur les centrales nucléaires liés au changement climatique est un sujet sensible, car il englobe de nombreuses problématiques qui vont de la gestion partagée de la ressource en eau au fonctionnement du réseau électrique, en passant par l’impact sur le milieu naturel et les risques pour la sûreté. […] Les épisodes extrêmes connus cet été sont encore perçus comme exceptionnels, mais, selon le Giec, leur fréquence pourrait être doublée voire tripler à l’horizon 2050 et leur gestion doit donc être anticipée. Elle doit l’être tant sur le parc en service que sur les installations neuves ».
Entre la baisse des débits des principaux fleuves français (entre 20 et 40 % d’ici à 2040, selon des études du ministère de la Transition écologique) et les risques de submersion des côtes, les impacts du changement climatique vont rendre l’exploitation des centrales nucléaires, déjà en activité ou futures, de plus en plus difficile. Une réalité qui commence à s’imposer à la filière. Mais pas encore au gouvernement, qui croit toujours pouvoir accélérer le programme de construction des nouveaux réacteurs. Quels qu’en soient les risques.
Par Blast-Info, publié le 08 avril 2023
Crédit photo/illustration en haut de page : Adrien Colrat
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