Le climat qui se détraque réveille régulièrement des inquiétudes sur la résilience de nos centrales nucléaires. Du manque d’eau au coup de chaud : Vert fait le point sur les menaces, réelles ou supposées, qui pèsent sur elles.
Les centrales nucléaires, ces assoiffées
C’est un fait, les centrales nucléaires françaises sont gourmandes en eau. Mais il faut distinguer ce qu’elles prélèvent, ce qu’elles consomment, et pour quoi faire. Avec 16 milliards de mètres cubes ponctionnés en 2018, on estime que le refroidissement des centrales nucléaires représente à lui seul la moitié de toute l’eau captée en France. Mais la majeure partie de cette eau est ensuite rejetée dans les fleuves ou la mer, de sorte que la consommation nette du nucléaire n’est que de 400 millions de mètres cube d’eau par an, soit 12% de l’utilisation nationale. L’atome arrive troisième des secteurs les plus consommateurs, derrière l’agriculture (57%) et l’eau potable (26%), selon le ministère de la transition écologique.
Circuit ouvert ou circuit fermé ?
Derrière ces généralités se cachent des situations hétérogènes selon que le site est adossé ou non à une tour de refroidissement (d’où s’échappe la vapeur). Sur les 56 réacteurs en fonctionnement, 26 installés en bord de mer ou le long du Rhône n’en sont pas équipés ; on dit qu’ils fonctionnent en circuit ouvert. L’eau est pompée dans des quantités importantes – 45 m³ par seconde et par réacteur – mais elle est presque intégralement rejetée, moyennant quelques degrés de plus. 30 autres réacteurs en bord de fleuve fonctionnent en circuit fermé : ils ont des prélèvements très inférieurs, de 2m³ par seconde et par réacteur, et rejettent l’eau à moins d’un degré de plus. En revanche, leur consommation nette est supérieure car 40% de l’eau s’évapore dans les tours et n’est donc pas restituée au milieu.
Oui, le réacteur pourra toujours être refroidi
Avec la multiplication et l’aggravation des sécheresses, l’eau qui manque parfois dans les fleuves réveille des craintes et des fantasmes sur la survenue d’un accident grave. En réalité, le refroidissement du cœur nucléaire nécessite suffisamment peu d’eau pour que le problème de la ressource ne se pose pas. Ce sont les turbines produisant l’électricité qui ont le plus besoin d’être refroidies et il suffit alors de produire moins d’électricité pour utiliser moins d’eau. Un réacteur à l’arrêt mais dont le cœur est chaud ne prélève plus que 0,6 m³ par seconde et ne consomme presque rien.
Les centrales nucléaires, ces bouillottes
Ces dernières années, certains réacteurs ont été contraints ponctuellement de réduire la voilure en période de sécheresse et/ou de canicule. « Ces décisions n’ont aucun lien avec la sécurité des centrales et sont liées à l’environnement », souligne Karine Herviou, directrice générale adjointe de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). En effet, un échauffement trop important des cours d’eau peut nuire à l’écosystème aquatique, favoriser la prolifération de pathogènes et empêcher certains usages (l’eau potable ne peut pas être captée au-delà de 25°C par exemple). Les centrales nucléaires sont donc priées de ne pas aggraver la situation si la température et/ou l’étiage des fleuves, c’est-à-dire leur débit, dépassent certains seuils.
Ces restrictions concernent six sites en particulier (Chooz, Bugey, Saint-Alban, Tricastin, Golfech et Blayais). La plupart fonctionnent en circuit ouvert et ont donc des rejets plus chauds. Celui de Golfech borde la Garonne dont les températures peuvent être très élevées en été. Selon EDF et la Cour des comptes, ces restrictions ont entraîné 0,3% de pertes de production entre 2001 et 2022, coûtant 889 millions d’euros. « Les études prospectives mettent en évidence une multiplication par un facteur de trois à quatre des indisponibilités liées au réchauffement climatique à échéance de 2050 », souligne la Cour des comptes.
Usages de l’eau : qui est prioritaire ?
Pour Thibault Laconde, consultant spécialisé dans les risques climatiques, les sécheresses posent d’autres questions bien plus épineuses que celle de la sûreté nucléaire : « Quels arbitrages est-on prêts à faire en période de sécheresse ? Qu’est-ce qui est prioritaire ?», demande-t-il. Pendant la canicule de 2019, jusqu’à 10% de la capacité de production nucléaire a été arrêtée pour préserver l’environnement. À l’inverse, au cours de l’été 2022, l’Autorité de sûreté nucléaire a autorisé pour la première fois des centrales à fonctionner en dehors des seuils environnementaux car le risque de manquer d’électricité était grand. À l’avenir, ces arbitrages pourraient se multiplier.
Réduire les besoins en eau ? Seulement pour les prochains réacteurs
Contrairement aux propos hasardeux d’Emmanuel Macron, les marges pour réduire les besoins en eau des réacteurs existants sont faibles. En particulier, le passage de toutes les centrales en circuit fermé serait un projet titanesque, coûteux et pas toujours possible techniquement. Thibault Laconde insiste toutefois pour que ces questionnements soient suffisamment pris en compte dans la préparation des futures installations. Alors que les six prochains EPR sont envisagés en bord de mer ou sur le Rhône, « aucune visibilité n’est apportée sur l’implantation des huit prévus en option », regrette également la Cour des comptes.
Celle-ci estime d’ailleurs qu’«EDF devra accélérer la recherche et la mise en œuvre de systèmes de refroidissement sobres en eau ». « Alors que des solutions techniques plus sobres en consommation d’eau, voire des technologies “à sec”, sont expérimentées à l’international, EDF [..] n’a proposé jusqu’à ces dernières années aucune innovation opérationnelle ».
Température de l’air : le vrai enjeu de sûreté
Alors que l’attention se concentre plus volontiers sur l’eau, Karine Herviou rappelle que « les enjeux de sûreté portent plutôt sur la température de l’air dans certains locaux, qui peut potentiellement affecter le fonctionnement d’équipements importants ». Ces dernières années, les centrales ont été équipées de climatiseurs industriels pour supporter des températures extérieures exceptionnelles. Mais le mercure a déjà dépassé ces maximales à plusieurs reprises ces dernières années (Libération).
Par Anne-Claire Poirier, publié le 27 avril 2023
https://vert.eco/articles/secheresses-et-canicules-quels-impacts-sur-les-reacteurs-nucleaires
Message de VERT : Cet article est extrait de la quotidienne de vert. Pour ne rien rater des dernières actualités, inscrivez-vous sur le site !
NDLR: difficile d’y voir clair car certains chiffres sont contestés, en particulier la consommation à l’arrêt!
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