Déverser un million de tonnes d’eau contaminée par l’explosion nucléaire de Fukushima dans l’Océan pacifique ? Mauvaise idée. Pourtant, c’est ce que Japon va faire. Contre l’avis des populations concernées. Pourquoi ? Analyse d’une logique économique et politique bien rodée.
L’Océan pacifique compte de nombreuses îles et atolls. Leur existence est menacée par la montée des eaux des océans. C’est une des conséquences du changement climatique, causé par les pays industrialisés. L’avis des populations sur le sujet n’est pas pris en compte. Comme lorsque les grandes puissances coloniales de l‘époque (les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France y ont testé leurs armes nucléaires).
Aujourd’hui, une quatrième ex-puissance coloniale vient s’ajouter à la liste : le Japon. Certes, elle ne teste pas d’armes nucléaires. Mais elle prévoit désormais de rejeter en mer l’eau de refroidissement accumulée depuis la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima.
Un siècle trop tôt
Depuis l’accident survenu en 2011, les réacteurs détruits ont eu le temps de refroidir. Plus d’un million de tonnes d’eau contaminée par la radioactivité a été stockée dans des réservoirs sur le site de l’entreprise. Le groupe énergétique TEPCO a décidé de déverser ce bouillon radioactif dans la mer. Pour ce faire, un tunnel de plusieurs kilomètres de long va être creusé.
Le gouvernement de Tokyo a donné sa bénédiction : « Le matériau radioactif sera filtré et dilué, c’est inoffensif », entend on. Des expertises scientifiques confirment qu’il n’y a aucun dommage pour l’environnement et les gens. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), par exemple. Mais pourquoi, dans ce cas,140 000 litres d’eaux usées contaminées ont-elles été stockées chaque jour depuis douze ans dans des réservoirs au lieu d’être rejetées directement dans la mer ?
Ces eaux de refroidissement contiennent du tritium, une forme radioactive d’hydrogène qui ne peut être ni filtrée ni diluée. Il a une demi-vie (c’est à dire le temps mis pour perdre la moitié de son activité) d’un peu plus de douze ans. Ce n’est qu’au bout d’une centaine d’années qu’il se désintègre suffisamment pour ne plus émettre de rayonnement supérieur au reste des choses qui nous entourent.
En résumé, la substance contenue dans les réservoirs devrait y rester un siècle avant qu’on puisse la considérer comme inoffensive. Le Japon ne semble pas vouloir pas attendre. Sous le capitalisme, le temps, c’est toujours de l’argent. Les pêcheurs des pays riverains craignent pour leur survie. Car même si l’eau ne cause pas de dommages immédiats à la flore et à la faune (ce dont on peut douter), cette situation aurait d’autres conséquences.
Agriculteurs et pécheurs menacés
Au Japon, on ne le sait que trop bien : les agriculteurs et les pêcheurs de la préfecture de Fukushima ne parviennent plus à écouler leurs marchandises depuis la catastrophe de 2011. Tout ce qui provient de cette région ne peut plus être vendu.
C’est le destin qui attend tous les pêcheurs qui jettent leurs filets dans la mer du Japon, la mer Jaune et la mer de Chine orientale. Et bien sûr, les 18 États insulaires qui se sont regroupés au sein du Pacific Island Forum (PIF). Car le « consommateur » a aujourd’hui l’habitude de demander l’origine des produits. Les coquillages, les algues, les poissons et autres animaux marins provenant de ces régions seront considérés comme pestiférés : attention aux radiations ! Or, la moitié du thon pêché et transformé dans le monde provient de cette région…
Les représentants du Pacific Island Forum ont négocié pendant des mois avec Tokyo. Sans résultat. Le fait que l’ancien agresseur fasciste japonais ait détruit de nombreuses îles pendant la Seconde Guerre mondiale, que ces îles aient ensuite été victimes de la guerre froide et qu’elles risquent peut-être de sombrer prochainement, n’a pas beaucoup ému Tokyo. Avec son habituel mode de domination capitaliste, il fait fi de toute objection. Même les protestations de sa propre population, de la Corée du Sud, de la Chine et de Taiwan, restent sans écho.
Du 19 au 21 mai, le Japon accueillera le sommet du G7. À Hiroshima, où les États-Unis ont fait exploser la première bombe atomique sur une ville habitée en août 1945. Inutile sur le plan militaire. Un crime de guerre, donc. Mais politiquement, une démonstration de force face à l’ancien et futur adversaire, avec lequel on était encore allié. Il en va de même pour le projet d’élimination des déchets de Fukushima. Vis-à-vis des voisins comme du reste du monde. Il s’agit certes au départ d’un geste impérial de la part du Japon, mais qui va tout à fait dans le sens de la puissance dominante du monde occidental. Washington veut dominer le Pacifique pour pouvoir s’opposer à la Chine. Pour cela, il faut des vassaux alliés.
Par Frank Schumann (journaliste et éditeur), publié le 2 mai 2023
Photo en titre : Des experts marins de l’IAEA et leurs homologues japonais de l’Autorité de régulation nucléaire prélèvent des échantillons d’eau dans les eaux côtières près de la centrale nucléaire de Fukushima. Photo Petr Pavlicek / IAEA
https://www.solidaire.org/articles/eaux-contaminees-de-fukushima-rejetees-la-mer-ou-l-arrogance-des-grandes-puissances
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