Le 8 mai 2018, Donald Trump retirait les États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, signé à Vienne en 2015. Pour le président américain de l’époque, cet accord était « désastreux », et en se désengageant, Washington optait pour une stratégie plus frontale pour tenter d’empêcher l’Iran d’avancer dans son programme nucléaire. Cinq ans plus tard, quel bilan tirer de ce retrait ?
Wendy Yasmine Ramadan est déléguée au développement international de l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (Irsem) et chercheuse associée au Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (CETOBaC).
RFI : Tel qu’il était justifié par Donald Trump, le but de ce retrait était de permettre d’exercer plus de pression sur l’Iran pour l’empêcher d’avancer vers la bombe nucléaire. Est-ce qu’il a produit les effets escomptés ?
Wendy Yasmine Ramadan : S’il s’agissait de mettre le régime sous pression, oui. Depuis 2017, il y a des mouvements de contestation incessants, sans précédent. Ils sont dus d’abord à des raisons de corruption du régime et de mauvaise gestion du pays. Et depuis le 16 septembre dernier, les autorités iraniennes sont contestées par un immense mouvement de mobilisation pour un voile mal porté et la mort de Mahsa Amini.
Mais s’il s’agissait de mettre la pression sur l’Iran pour qu’il soit plus contraint dans ses activités nucléaires et son programme balistique, ça a été un échec complet. Aujourd’hui, l’AIEA – Agence internationale de l’énergie atomique – n’est pas en mesure de garantir le programme pacifique des activités nucléaires iraniennes. Mais surtout, l’Iran s’est considérablement affranchi des contraintes qui étaient prévues par l’accord. Aujourd’hui, l’Iran enrichit son uranium à plus de 60% alors que dans l’accord, le seuil avait été fixé à 3,67%. Et d’après les critères de l’AIEA, l’Iran a amassé suffisamment d’uranium pour produire une bombe. Ça ne signifie pas que les autorités vont le faire, mais en tout cas, on est très loin des objectifs de renforcement du régime de non-prolifération.
Au point que l’Iran est considéré aujourd’hui comme étant parmi « les nations du seuil » ?
Ce n’est pas un terme qui fait partie du glossaire de l’AIEA, mais il est effectivement repris par les médias d’expertise sur le sujet. L’expression « État du seuil » décrit des États, comme le Japon par exemple, qui ont les capacités de fabriquer une bombe, mais qui n’ont pas nécessairement la volonté politique de le faire.
Pour vous donner un ordre d’idée, il faut un uranium enrichi à 90% pour fabriquer une bombe. L’Iran n’enrichit pas – en tout cas pas officiellement – son uranium à 90%, mais à 60%. Et il faudrait 27 kilos d’uranium enrichi à 90% pour fabriquer une bombe, ce qui correspond à environ 42 kilos d’uranium enrichi à 60%. Or, d’après les derniers rapports de l’AIEA, l’Iran a largement ces quantités d’uranium à 60%. Donc oui, on pourrait considérer que l’Iran est aujourd’hui un « État du seuil ».
À son arrivée à la Maison Blanche, Joe Biden avait relancé des négociations avec l’Iran sur son programme nucléaire. C’était l’une des grandes priorités de sa politique étrangère. Ces négociations sont toutefois à l’arrêt depuis huit mois. Est-ce qu’il y a encore un avenir pour des négociations sur ce programme nucléaire iranien ?
Effectivement, les négociations se sont arrêtées à l’été 2022. Toutefois, ce qui est intéressant, c’est le fait même que des négociations aient eu lieu après l’élection à la présidence iranienne d’Ebrahim Raïssi en août 2021. Au départ, une partie de la droite – le camp politique d’Ebrahim Raïssi – était pourtant très opposée à la tenue de ces négociations. Et elle était très critique de la diplomatie nucléaire de Hassan Rohani, l’ex-président qui était perçu comme un modéré, en tout cas par les médias occidentaux. L’accord multilatéral de Vienne en juillet 2015 avait été fortement décrié par une partie de la droite iranienne.
Or, aujourd’hui, ces gens-là sont les premiers à défendre la tenue de négociations. Donc sur la scène politique interne, il est intéressant de noter qu’aujourd’hui, on a une grande partie du spectre politique qui serait plutôt en faveur de la tenue de ces négociations.
Il y a toutefois un gros bémol : le Parlement iranien est le Parlement le plus à l’extrême droite de l’histoire politique du pays. Il est dominé par le Front pour la stabilité qui, lui, est contre la tenue de négociations. En plus, il a repris le pouvoir sur les négociations en votant une loi qui lui donne un contrôle, en tout cas sur l’exécutif, sur la tenue de négociations. Ce n’était pas du tout le cas auparavant. Donc, il faudrait attendre les prochaines élections du Parlement en Iran, qui auront lieu en février 2024, pour qu’on puisse peut-être voir un exécutif qui sera en mesure de mener ces négociations.
Par Guilhem Delteil, publié le 08/05/2023 à 07h00
Photo en titre : Le président américain Donald Trump montrant le document relatif au retrait des États-Unis d’Amérique de l’accord sur le nucléaire iranien, le 8 mai 2018. AP – Evan Vucci
https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230508-retrait-am%C3%A9ricain-de-l-accord-sur-le-nucl%C3%A9aire-l-iran-est-aujourd-hui-un-%C3%A9tat-du-seuil
Commentaires récents