LE CENTRE D’ENFOUISSEMENT DES DÉCHETS NUCLÉAIRES À BURE BIENTÔT À L’ÉPREUVE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Nouvelle étape dans le conflit sur le centre d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure. Plusieurs associations d’opposants ont obtenu du Conseil d’État que soit examinée la conformité à la Constitution d’un article du Code de l’environnement sur lequel s’appuie la déclaration d’utilité publique du projet.

Avancée importante dans le projet de centre d’enfouissement des déchets nucléaires Cigéo à Bure (Meuse), celui-ci a été déclaré d’utilité publique par un décret du 7 juillet 2022, permettant notamment à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) d’acquérir le foncier nécessaire à la réalisation du projet par le biais d’expropriations le cas échéant. À peine le texte publié au « Journal officiel » que plusieurs associations annonçaient leur volonté de le contester. Ce fut chose faite début septembre 2022 avec un recours porté par 32 organisations et 30 habitants devant le Conseil d’État.

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L’autorisation en cours d’instruction par l’Autorité de sûreté nucléaire

Malgré ce recours, qui n’est pas suspensif, l’Andra n’a pas attendu. Elle a déposé en janvier 2023 une demande formelle d’autorisation pour la création du centre Cigéo. C’est l’Autorité de sûreté nucléaire qui instruit cette demande ; l’autorisation ne sera pas accordée avant 2025.

Si elle est accordée, les premiers travaux pourront débuter dès 2025. La phase pilote est ensuite prévue jusqu’en 2035, laissant place à l’exploitation effective du site.

La réversibilité en question

La procédure est toujours en cours mais les requérants sont déjà parvenus à faire mouche une première fois : le Conseil d’État, dans une décision du 2 août, accepte de transmettre leur question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Ils font valoir que l’article L. 542-10-1 du Code de l’environnement, visé dans la déclaration d’utilité publique, serait non conforme à la Constitution.

Cet article, largement modifié par la loi du 25 juillet 2016 prévoyant les modalités de création de Cigéo, définit la notion de réversibilité. Il s’agit de « la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion ». Elle se matérialise notamment par la possibilité de changer de mode de gestion des déchets nucléaires, qui doivent dès lors pouvoir être sortis à tout moment – sans que le texte ne détermine comment. La loi de 2016 a introduit une phase pilote préalable à l’exploitation, visant à démontrer le caractère réversible de l’installation. En outre, l’Andra devra mettre à jour « tous les cinq ans, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes et du public », un plan directeur de l’exploitation.

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Préserver les générations futures

Pour les adversaires de Cigéo, la réversibilité ainsi définie ne serait toutefois pas suffisante pour limiter les impacts du projet dans le temps et serait dès lors contraire à la Constitution. Ils estiment notamment que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, figurant à l’article 1er de la Charte de l’environnement (qui a valeur constitutionnelle) et récemment hissé au rang de liberté fondamentale par le Conseil d’État en septembre 2022 (CE, 20 septembre 2022, n° 451129, publié au recueil Lebon), doit s’appliquer aussi aux générations futures. Au regard du préambule de la Charte de l’environnement, qui prévoit notamment que « les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures […] à satisfaire leurs propres besoins », et du texte de la Constitution de 1958 (en particulier son préambule et ses articles 2 et 72-3), les requérants considèrent en outre qu’il existerait un principe de solidarité et de fraternité entre les générations que l’article L. 542-10-1 du Code de l’environnement ne permettrait pas de garantir.

Pour la Haute juridiction administrative, cette question de la conformité à la Constitution du mécanisme de réversibilité est légitime. Dans la mesure où elle présente un caractère inédit, le Conseil d’État accepte qu’elle soit posée au Conseil constitutionnel.

C’est maintenant aux Sages de se prononcer. Dans l’attente, la requête devant le Conseil d’État est en suspens.

Par Maxime Ambrosi, publié le 24 août 2023 à 11h03

Photo en titre : Le Conseil d’État transmet la QPC au Conseil constitutionnel. © pixarno – stock.adobe.com

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