Que doit-on faire des déchets les plus dangereux de nos centrales nucléaires? Le Canada planifie la construction d’un site d’entreposage souterrain à toute épreuve en Ontario, qui pourra même résister aux glaciers qui le recouvriront dans des milliers d’années.
Les 19 réacteurs CANDU canadiens encore en fonction produisent chaque année 90 000 grappes de combustibles irradiés. On estime qu’il y aura d’ici quelques années 5 millions de grappes hautement radioactives qui s’accumuleront sur le territoire canadien. Ces grappes sont si dangereuses qu’il suffirait d’y être exposé quelques minutes pour recevoir des doses de rayonnement mortelles.
Lorsque le combustible des centrales quitte le réacteur, il dégage tellement de chaleur qu’on doit plonger les grappes dans des piscines de refroidissement pendant près d’une décennie. Ce n’est qu’après toutes ces années passées dans l’eau qu’on les transfère vers des sites de stockage à sec. Les déchets radioactifs sont alors encapsulés dans des structures de béton armé construites à quelques mètres des réacteurs.
Au Québec, les déchets radioactifs les plus dangereux se trouvent à l’ancienne centrale nucléaire Gentilly-2, près de Trois-Rivières. Même si la centrale d’Hydro-Québec est fermée depuis six ans, on retrouve toujours sur le site 130 000 grappes de combustible irradié.
Le problème est que ces silos de béton sont des solutions temporaires. Ils ont une espérance de vie de 50 ans, alors que les matières fissiles qu’ils contiennent demeurent radioactives pendant des centaines de milliers d’années. En 2002, le gouvernement fédéral a créé la Société de gestion des déchets nucléaires (SGDN) pour trouver une solution à long terme à ce problème; une solution qui soit socialement acceptable, techniquement sûre et économiquement viable.
Après avoir lancé une série de consultations publiques, cette société à but non lucratif a décidé de construire un « tombeau nucléaire ». On parle d’enterrer les déchets les plus radioactifs à un demi-kilomètre sous terre. Ce tombeau doit isoler et confiner les déchets nucléaires pour une période indéfinie. Construire ce dépôt géologique profond va prendre plusieurs années et coûtera 23 milliards de dollars. Conformément au principe du « pollueur-payeur », les producteurs et les propriétaires de déchets sont responsables du financement du projet. Hydro-Québec, Ontario Power Generation, Énergie Nouveau-Brunswick et Énergie atomique du Canada versent des cotisations annuelles pour la construction du futur tombeau nucléaire canadien.
À la recherche de volontaires
Tous les pays producteurs d’énergie nucléaire sont présentement à la recherche du site idéal pour construire leur tombeau nucléaire. Au Canada, on trouve actuellement des déchets de haute activité dans quatre provinces canadiennes : le Manitoba, l’Ontario, le Québec et le Nouveau-Brunswick. La SGDN veut regrouper ces déchets dans un seul site.
Pour construire le tombeau nucléaire canadien, cette agence sans but lucratif cherche des volontaires, des communautés qui souhaiteraient accueillir le dépôt géologique sur leur territoire. Après qu’elle ait lancé l’invitation en 2010, 22 communautés canadiennes ont manifesté un intérêt. C’est que le tombeau nucléaire canadien va générer d’importantes retombées économiques.
Pour être choisies, les villes participantes doivent passer à travers un long processus de sélection. Elles doivent avoir un bon système de transport, elles doivent consulter leurs populations et obtenir l’appui des communautés autochtones et surtout elles doivent avoir un sous-sol particulier qui puisse accueillir ces déchets en toute sécurité. Des 22 volontaires au départ, il ne reste plus que cinq villes encore à l’étude, toutes situées en Ontario. Ignace, Manitouwadge et Hornepayne sont dans le nord de l’Ontario; Huron-Kinloss et South Bruce sont près du lac Huron, à trois heures de route de Toronto.
Résister aux glaciers
C’est l’hiver dernier que la SGDN a commencé ses premiers forages à Ignace, dans le nord de l’Ontario. On prévoit que l’analyse géologique des cinq sites encore à l’étude va prendre plus d’une décennie. C’est qu’on recherche un site qui a une géologie particulière. Le tombeau sera excavé dans un roc extrêmement solide, sans failles et sans eaux souterraines. Ce dépôt géologique doit résister non seulement aux tremblements de terre, mais aussi à une épaisseur de glace. Selon les géologues de la SGDN, des murs de glace de 3 km vont recouvrir le tombeau au cours de la prochaine ère glaciaire.
100 000 cercueils de cuivre
Pour éviter que les grappes irradiées ne soient écrasées par le poids des glaciers, la SGDN travaille sur plusieurs méthodes de confinement. On enferme les grappes de combustible dans 100 000 cercueils d’acier au carbone. Pour les protéger de la corrosion, on recouvre ces cercueils d’une mince couche de cuivre.
Pour les rendre encore plus étanches, on enferme le cylindre de cuivre dans une boîte qui a la forme d’un sarcophage. Les parois de ce sarcophage sont en bentonite, une poudre d’argile qui gonfle au contact de l’eau. Si les produits radioactifs parvenaient à s’échapper de leur confinement, il restera une dernière barrière d’isolement. Le tombeau sera construit à 500 mètres sous terre. Les produits de fission qui s’échapperaient de leur cercueil mettraient alors plusieurs milliers d’années pour remonter à la surface. Il s’écoulerait alors suffisamment de temps pour qu’ils perdent leurs propriétés radioactives.
Des convois nucléaires pendant près de 40 ans
Une fois qu’on aura sélectionné le site définitif, il faudra transférer près de 5 millions de grappes hautement radioactives vers le tombeau nucléaire canadien. On estime que cela va prendre 40 ans pour acheminer toutes ces grappes vers le dépôt géologique. Plusieurs scénarios sont à l’étude, mais pour l’instant il n’est pas question de les faire transiter par bateaux. Les déchets hautement radioactifs canadiens vont donc voyager par trains ou par camions. Si on les achemine par la route, on estime qu’il y aura 600 camions de transport par année. Sur les rails, on parle d’une soixantaine de trains radioactifs par année, et ce, pendant 38 ans. Ces déchets sont des matières nucléaires à risque élevé. Pour les déplacer, on doit avoir un plan d’urgence et on doit obtenir un permis de transport de la Commission canadienne de sûreté nucléaire.
Pour sortir le combustible des centrales nucléaires, on utilise des colis qui répondent aux exigences de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Pour être homologués, ces colis passent une série de tests qui démontrent la force de leur blindage : on les fait tomber d’une hauteur de 9 mètres et on les immerge dans 200 mètres d’eau. Ces colis doivent aussi être à l’épreuve des flammes et résister à des feux de 800 degrés Celsius. La SGDN nous dit que ces colis sont parfaitement étanches et que les usagers de la route n’ont pas à craindre pour leur sécurité lorsqu’ils croisent un convoi nucléaire. Mais pour des raisons de sécurité, l’itinéraire de ces convois ne sera pas rendu public.
Le reportage de Daniel Carrière et Éric Lemyre est diffusé à l’émission Découverte, dimanche, à 18 h 30, à ICI Radio-Canada Télé.
Par Daniel Carrière, publié le vendredi 18 janvier 2019 à 20 h 46
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1147625/tombeau-nucleaire-canadien-ontario-site-dechets-dangereux-radioactif-stockage-entreposage-souterrain
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