Financements supplémentaires, loi de programmation énergie-climat… Les prochains mois seront cruciaux pour mettre la France en phase avec ses ambitions affichées, comme viennent de le rappeler le Haut conseil pour le climat et le Cese.
La première rentrée du quinquennat s’annonce chargée sur le front de l’énergie et du climat. Il y a urgence à gérer l’explosion des prix des hydrocarbures, la fermeture du robinet du gaz russe, et d’anticiper la manière dont on va passer le prochain hiver (ce qui a déjà poussé à la réouverture de la centrale à charbon de Saint-Avold, qui venait à peine de fermer). Tout aussi urgent : mettre la France sur les bons rails pour atteindre son objectif climatique inscrit dans la loi depuis novembre 2019 : atteindre le « zéro émissions nettes » en 2050.
Sur ce plan, dans un contexte où le parti du frein l’emporte désormais très largement sur celui de l’accélérateur, le Parlement va prochainement devoir prendre des décisions lourdes
Il aura tout d’abord à se prononcer à courte échéance sur la prochaine loi de finances, présentée fin septembre, qui de facto donne année après année la mesure du grand écart entre les orientations climatiques proclamées et les montants sonnants et trébuchants que décident de lui attribuer le gouvernement et l’Assemblée. Emmanuel Macron honorera-t-il sa promesse électorale de consacrer une enveloppe supplémentaire de 10 milliards d’euros par an pour la transition écologique ?
La loi de programmation énergie-climat, chantier monumental
Il y aura ensuite la future loi de programmation énergie-climat (LPEC), censée être présentée fin 2022 et adoptée en juillet 2023. Son échéancier très serré ne sera vraisemblablement pas tenu, en partie parce que l’actualité, marquée par la guerre en Ukraine et ses répercussions, dicte son agenda, et en partie parce que ce chantier est à la mesure de l’enjeu : monumental.
La LPEC doit en effet fixer les nouvelles orientations en matière d’énergie et de climat pour la décennie et à mettre en œuvre dès à présent. Celles-ci seront dans la foulée traduites en termes opérationnels dans trois feuilles de route déjà existantes mais à mettre à jour dans leur prochaine et troisième édition : la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et le plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC). Tous ces textes constituent le référentiel de ce qui s’appelle désormais la « stratégie française pour l’énergie et le climat » (SFEC).
La future loi de programmation devra confirmer que la France s’aligne bien sur le nouvel objectif européen de réduction de 55 %, par rapport à leur niveau de 1990, des émissions nettes 1 de gaz à effet de serre en 2030. Actuellement, l’objectif français est de -40 %, ce qui est non seulement incohérent avec l’atteinte du « zéro émissions nettes » en 2050, mais également non conforme à la nouvelle loi européenne sur le climat. D’où une nécessaire une révision en profondeur de l’actuelle SNBC.
La LPEC devra enfin dire ce que décide la France en matière de nucléaire, à la fois en matière de construction de réacteurs neufs et de prolongation du parc ancien au-delà de cinquante ans d’exploitation 2, une hypothèse de plus en plus sérieusement envisagée. De ces arbitrages sur la place du nucléaire dans la production énergétique décarbonée de demain, devenus urgents compte tenu des délais de réalisation dans le secteur, dépendront également les objectifs de développement qui seront inscrits dans la future PPE pour l’éolien, le photovoltaïque et autres renouvelables.
Le risque d’une impasse énergétique
Se profile un scénario très risqué, avec des objectifs très hasardeux assignés à la filière nucléaire en termes industriels, financiers et de sûreté qui, s’ils n’étaient pas atteints, placeraient d’ici une dizaine d’années la France dans une situation d’insuffisance la fois de capacités nucléaires et de capacités renouvelables. Ce qui forcerait le pays à se reporter davantage sur des sources d’énergie carbonées pour boucler ces besoins.
Ce scénario sera d’autant plus catastrophique si les énergies renouvelables – qui devront être très fortement développées, quoi que l’on décide sur le nucléaire – sont bridées par les oppositions aux projets et leur instrumentalisation politique. Il faudra voir dans quelle mesure le débat public sur la construction de nouveaux réacteurs, organisé par la CNDP du 1er octobre au 31 janvier prochains, s’emparera de ces questions. Et si ses conclusions seront prises en compte par le gouvernement et les parlementaires lors du vote de la LPEC.
Enfin, s’agissant de l’adaptation aux conséquences du réchauffement, l’actuel plan d’action n’a aucune valeur opérationnelle. Il s’agira de se doter avec le futur PNACC d’une feuille de route précise, tant en termes d’actions à mettre en œuvre que de moyens. Là encore, les enjeux sont énormes.
Nécessaire hausse de l’effort
La difficulté de ce moment politique ne tient pas seulement aux résultats des urnes et à une inflation qui réduit les marges de manœuvre. Elle est également, et surtout, la conséquence, de l’irrésolution passée, qui rend d’autant plus haute la marche qu’il s’agit désormais de franchir.
C’est en tout cas ce qu’a bien montré le quatrième rapport annuel du Haut conseil pour le climat (HCC), publié le 29 juin. Malgré le choc récessif de la crise du Covid, les émissions de gaz à effet de serre sur les années 2019-2021 n’auront reculé que de 1,9 % par an en moyenne, un rythme finalement égal à celui de la décennie 2010-2019.
Pour réaliser le -55 % en 2030, souligne le HCC, la baisse annuelle des émissions sur la période 2022-2030 devrait atteindre -4,7 % ou 16 millions de tonnes de CO2. C’est un doublement de l’effort existant, déjà très insuffisant par rapport à ce qui est inscrit dans l’actuelle SNBC (-3,2 % par an ou 12 millions de tonnes de CO2).
La difficulté est encore plus grande si l’on tient compte du fait que la SNBC surestime les capacités futures d’absorption du CO2 par les forêts et les sols. Ce « puits de carbone » s’est en effet fortement dégradé au cours de la dernière décennie, du fait des sécheresses, des maladies qui affectent les arbres fragilisés par le réchauffement global, de la poursuite de la conversion de prairies en cultures, de l’artificialisation des sols et de l’accroissement des prélèvements de bois.
Le rapport du HCC se félicite toutefois du fait que la gouvernance climatique soit désormais placée sous la responsabilité du premier ministre, et souligne quelques autres avancées. Mais la liste est longue des recommandations qu’il établit, rappelant à quel point la France n’est pas au rendez-vous de ses engagements.
Parmi les réclamations du HCC : une programmation pluriannuelle des financements publics pour le climat, qui soit cohérente avec la SNBC révisée, des contreparties climatiques renforcées pour toutes les aides accordées aux entreprises, ainsi qu’un renforcement, dans un esprit de transition juste, du « signal prix » sur les produits et activités carbonées.
Le Haut Conseil appelle également de ses vœux de nombreuses mesures sectorielles, comme la révision du plan stratégique national pour l’agriculture, qui freine le développement de l’agriculture biologique et la baisse des émissions dans le secteur, ou encore une politique de rénovation des logements cohérente avec les objectifs nationaux de décarbonation. Sur près de 657 000 dossiers MaPrimeRénov validés en 2021, les rénovations globales, donc a priori les seules véritablement performantes, ne représentent que 0,1 % des travaux…
Organiser une véritable concertation
Ces recommandations impliquent de « repenser la gouvernance de l’action publique pour la transition écologique », comme y invite une résolution du Conseil économique, social et environnemental (Cese) publiée à la veille de la sortie du rapport du HCC.
En effet, étant donné le niveau d’ambition nécessaire, « la transition écologique implique des choix de société et génère des impacts sociaux, sociétaux et économiques majeurs » rappelle le Cese. En conséquence, « la gouvernance de cette transition doit être animée dans l’objectif de garantir une transition juste, systémique et d’impliquer toutes les parties prenantes de la conception à l’évaluation des politiques publiques mises en œuvre. »
Justement, le Président de la République avait annoncé, dans son discours du 10 février dernier à Belfort, l’organisation d’une large concertation publique sur l’énergie au second semestre 2022, en amont du débat parlementaire sur la future loi de programmation énergie-climat. Mais qui, cet été, en a entendu parler ?
Aussi le Cese réitère-t-il sa recommandation d’organiser un grand débat public national sur la stratégie française énergie climat (SFEC) pour en légitimer les orientations. Et invite le gouvernement à en confier l’organisation à la Commission nationale du débat public.
Aujourd’hui, la CNDP est simplement chargée d’une mission de conseil auprès du gouvernement pour l’organisation de la concertation sur la SFEC. Ce qui pose un problème de démocratie. Une concertation organisée par l’État qui est partie prenante au débat ne présente pas les mêmes garanties qu’un débat public organisé en toute autonomie par la CNDP, autorité administrative indépendante, qui observe un principe de stricte neutralité envers toutes les parties prenantes, y compris l’État.
Par ailleurs, le Cese rappelle, en citant le rapport de la mission de conseil de la CNDP du 25 avril dernier, qu’il est indispensable de clarifier et sécuriser les règles du jeu quant à la manière dont les conclusions issues de la consultation publique sur la SFEC pourront peser sur les décisions futures. Ce qui avait précisément manqué avec les débats organisés à la suite de la révolte des gilets jaunes et en particulier la conférence citoyenne sur le climat. À défaut, on ne voit pas comment les mêmes causes ne produiraient pas les mêmes effets.
Notes :
1. Y compris les absorptions de carbone, essentiellement par les forêts et les sols.
2. L’Autorité de sûreté nucléaire a validé en février 2021 le principe d’une prolongation des 32 réacteurs de 900 MW (les plus anciens) de 40 ans à 50 ans d’exploitation, non au-delà. Ce qui ne vaut pas autorisation, qui doit être délivrée au cas par cas.
Par Antoine de Ravigan, publié le 4 juillet 2022
https://www.alternatives-economiques.fr/transition-ecologique-cherche-gouvernance/00103874
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