LE RISQUE D’INONDATION DES CENTRALES NUCLÉAIRES CÔTIÈRES FRANÇAISES RÉÉVALUÉ

Les modèles employés jusqu’à aujourd’hui pour estimer ce risque comportent des failles, estime une équipe de chercheurs franco-québécoise.

En décembre 1999, la région du Blayais en Gironde frôle la catastrophe lors du passage de la tempête Martin. Une partie de la centrale nucléaire, située au bord de l’estuaire de la Gironde, est inondée. Son système de refroidissement de secours est touché. Deux réacteurs sont arrêtés d’urgence. Bien que le pire ait été évité, l’événement remet en question la protection des cinq centrales nucléaires situées sur le littoral français. Plusieurs mesures sont alors prises pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise. Les calculs du risque d’inondation sont notamment à nouveau étudiés.

Or, les modèles employés jusqu’à aujourd’hui pour estimer ce risque comportent des failles, jugent des chercheurs de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de l’université Gustave-Eiffel, dans une étude parue en mars dans la revue Water Resources Research.

Le niveau de la mer est déterminé par deux facteurs : la marée astronomique et la surcote. La marée astronomique dépend de la rotation de la Terre et de son attraction gravitationnelle avec la Lune et le Soleil. Des équations permettent de déterminer sa valeur future ou passée. La surcote, toutefois, s’anticipe plus difficilement. Il s’agit de la différence entre le niveau d’eau observé et la marée astronomique. Elle est due à des conditions météorologiques comme le vent ou la pression atmosphérique. Pour prédire son ampleur, l’idée est de se fier aux valeurs qu’elle a prises antérieurement.

Augmentation du risque d’inondation due aux changements climatiques

Dans le cas des centrales nucléaires côtières françaises, les mesures de protection sont notamment établies en fonction de la surcote millénale, c’est-à-dire une valeur dépassée en moyenne une fois à chaque mille ans. Or, les données enregistrées par les marégraphes offrent généralement trop peu de recul pour faire ce type de calcul, estime Yasser Hamdi, chercheur à l’IRSN et coauteur de l’étude : « On utilise, par exemple, des données vieilles de trente ans pour extrapoler sur mille ans. Cela n’a aucun sens en termes de représentativité. »

Consciente du problème, l’IRSN a entrepris depuis une dizaine d’années une vaste collecte d’informations sur les côtes françaises. Aidés par des historiens, les chercheurs ont retracé, entre autres, via la presse locale, les épisodes de niveaux de mer extrêmes des derniers siècles. « Si on a des niveaux de mer importants qui causent des inondations et des dégâts humains et environnementaux, on est à peu près sûr qu’ils ont été répertoriés dans la presse de l’époque », remarque Laurie Saint-Criq, doctorante en cotutelle France-Québec entre l’IRSN et l’INRS et première autrice de l’étude.

De premiers modèles combinant à la fois les données récentes des marégraphes et les observations historiques sur les niveaux de mer ont été testés par les chercheurs de l’IRSN au cours des dernières années. Ils ont montré des risques d’inondation plus élevés que les calculs précédents pour des centrales côtières françaises telles que celles du Blayais et de Gravelines (Nord). La nouvelle approche proposée dans l’étude vient toutefois peaufiner ces premiers modèles.

Elle donnera ainsi plus précisément l’ampleur des mesures à prévoir pour assurer la sûreté nucléaire. « Nous travaillons avec EDF à améliorer les installations des centrales en fonction de ces données historiques », affirme Yasser Hamdi. Le modèle pourrait aussi mener à revoir la sécurité des autres infrastructures le long du littoral telles que les ports, ajoute Laurie Saint-Criq. La chercheuse souhaite d’ailleurs ajuster les calculs pour mieux prendre en compte l’augmentation du risque d’inondation due aux changements climatiques. « On sait que les surcotes dans le futur vont être plus fréquentes et plus importantes », souligne-t-elle.

Par Philippe Robitaille-Grou, publié le 7 juillet à 20h14, mis à jour à 20h52

Photo en titre : La centrale nucléaire de Braud-et-Saint-Louis les pieds dans l’eau après la tempête fin décembre 1999. © Crédit photo : archives Marie-Laure Gobin

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