TAPIS ROUGE POUR LE NUCLÉAIRE AU SÉNAT

La nouvelle loi sur le nucléaire, en débat au Sénat, est un cadeau offert au lobby de l’atome. Et la majorité de droite pourrait encore la renforcer.

Le débat public sur la création de nouveaux réacteurs nucléaires EPR2 n’est pas encore terminé que le gouvernement souhaite déjà accélérer leur construction. Mardi 17 janvier, son projet de loi pour une relance « ambitieuse et durable » du nucléaire sera présenté au Sénat. Le texte propose différentes mesures techniques pour simplifier le développement des EPR2. Mais il envoie surtout un signal politique : le gouvernement est en ordre de marche pour faire avancer sa cause. Quitte à changer radicalement les délais d’autorisations administratives, les procédures juridiques et les cadres de la démocratie environnementale.

Il y a un peu moins d’un an, Emmanuel Macron annonçait à Belfort son attention de construire six nouveaux EPR2 d’ici 2035. Le projet de loi actuel offre à EDF une boîte à outils afin de « gagner du temps ». « L’objectif de la première coulée de béton est fixé d’ici la fin du quinquennat en 2027 », a rappelé la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. Installés sur les sites de centrales existantes, les deux prochains EPR devraient être implantés à Penly (Seine-Maritime), suivis de deux autres à Gravelines (Nord). Le 17/01/23, ajout de l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité.

« Ce nouveau programme doit être compétitif »

En présentant son projet de loi en Commission des affaires économiques, Agnès Pannier-Runacher a d’abord commencé par s’excuser. « Je suis désolée, c’est un texte horriblement technique… Mais les modalités de relance du nucléaire passeront par des considérations peu attrayantes », a-t-elle poursuivi. Pour elle, les difficultés actuelles du nucléaire — sa lenteur et sa cherté — seraient, avant tout, liées à des lourdeurs bureaucratiques et normatives qu’il s’agirait de faire sauter. (NDLR : serait-ce aussi le cas en Finlande, en Chine et au Royaume-Uni, pays dans lesquels lenteur et cherté se sont également avérés ?)

« Il est important que le coût de ce nouveau programme soit compétitif, ce qui est beaucoup plus facile à dire qu’à faire, a-t-elle précisé. Les énergies renouvelables ont un coût de sortie de 60 à 80 euros (le MWh) et c’est dans ce niveau de prix qu’il faudrait pouvoir avoir un prix du nucléaire. »

Pour y arriver, le gouvernement propose, concrètement, de revoir plusieurs éléments. Les travaux sur les parties non nucléaires (terrassement, clôtures, parkings, bâtiments) pourront ainsi démarrer sans attendre le décret d’autorisation de création du réacteur. Certaines infrastructures seront donc bâties avant même que le public se prononce pour ou contre la construction de l’EPR2.

Les installations seront dispensées de permis de construire. L’implantation de réacteurs nucléaires dans les zones protégées par la loi « littoral » pourra être autorisée. Pour modifier les documents d’urbanisme, c’est le préfet qui aura désormais la compétence. Il instruira cette procédure à la place des communes. À partir du moment où les travaux débuteront, les communes pourront percevoir des taxes d’aménagement.

De nouvelles mesures d’expropriation, avec prise de possession immédiate, seront également prévues. Elles concerneront tous les ouvrages annexes reconnus d’utilité publique comme les installations de pompage, les stations électriques, etc.

« Les citoyens seront mis devant le fait accompli »

Le gouvernement estime que ces « simplifications administratives » feront gagner cinq ans aux projets d’EPR2. Le Conseil d’État s’est permis d’en douter, jugeant l’étude d’impact « inégale » et « incomplète ».

L’exemple de l’EPR de Flamanville montre, en effet, autre chose. « Ce ne sont pas les contraintes juridiques qui ont empêché sa construction, a souligné dans Actu Environnement l’avocat Rémi Bonnefont. Les retards sont exclusivement imputables aux difficultés d’exécution des travaux et non aux procédures administratives d’autorisation. »

« L’EPR est un engin beaucoup trop compliqué, quasi inconstructible »

Initialement prévu pour 2012, le projet d’EPR de Flamanville ne verra le jour au mieux qu’en 2024, soit avec douze ans de retard et près de 10 milliards d’euros de surcoût. Même Henri Proglio, l’ancien PDG d’EDF, a déclaré que l’EPR est un « engin beaucoup trop compliqué et quasi inconstructible ».

Contactée par Reporterre, Greenpeace voit dans toutes ces nouvelles dispositions « un déni de démocratie ». « Les citoyens seront mis devant le fait accompli et les communes percevront de l’argent avant même la fin des procédures », dénonce Laura Monnier, juriste au sein de l’ONG.

D’autres articles l’inquiètent. Le projet de loi concerne aussi la prolongation du parc nucléaire. Au cours des visites décennales, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) délivre normalement une autorisation pour que le réacteur puisse continuer à fonctionner. Celle-ci sera désormais remplacée par une simple déclaration de l’exploitant. « L’ASN devient de plus en plus une chambre d’enregistrement alors même que le parc est vieillissant », regrette Laura Monnier.

Les sénateurs veulent supprimer les objectifs du mix énergétique

Le plus important reste à venir. Les débats au Sénat pourraient être vifs. La majorité de droite a profité du dépôt du projet de loi pour défendre sa vision maximaliste sur le nucléaire. Son rapporteur, le Républicain Daniel Gremillet, a largement amendé le texte pour, a-t-il dit, lui donner « une vision politique » : « La relance du nucléaire n’est pas réductible à une loi de simplification. »

En commission des Affaires économiques, les sénateurs ont supprimé l’objectif du mix énergétique qui visait à réduire de 50 % la part du nucléaire dans la production électrique. Ils ont également remis en cause le calendrier de fermeture des douze réacteurs prévus par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Ils ont aussi élargi les dérogations administratives aux Small Modular Reactors (petit réacteur modulaire) et aux électrolyseurs d’hydrogène. Si ces amendements étaient définitivement adoptés, « le texte changerait de nature, alerte l’avocat Arnaud Gossement. Il réorienterait de manière substantielle la politique énergétique nationale ».

Dans un brief presse le 16 janvier, des membres du cabinet de la ministre de la Transition énergétique ont assuré néanmoins que le gouvernement s’opposerait à ces amendements : « Nous ne voulons pas préempter le débat national sur la construction des EPR et les réflexions autour du mix énergétique. »

Pourquoi alors étudier ce texte de simplification administrative avant la fin des différents débats publics, leur ont demandé les journalistes. Pourquoi s’empresser de faire voter ces dispositions alors qu’aucun nouveau EPR n’est en chantier et sans attendre les remontées de la population ? « Nous voulons montrer qu’il n’y a aucune incertitude dans le calendrier de réalisation des EPR, et que nous pouvons le faire dans son format le plus comprimé possible », ont-ils simplement répondu.

Le gouvernement a finalement renoncé à l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité. Suivant la commission des affaires économiques du Sénat, le gouvernement a déposé lundi un amendement qui vise à supprimer l’objectif fixé par la loi de transition énergétique de 2015.

Par Gaspard d’Allens, publié le 17 janvier 2023 à 09h47, mis à jour le 17 janvier 2023 à 14h24

Photo en titre : L’EPR de Flamanville en travaux, en 2010. La livraison est désormais prévue pour 2024, après douze ans de retard. Wikimedia Commons/CC BY 3.0/schoella

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