Alors que le G7 s’ouvre à Hiroshima, ville symbole du désastre des armes nucléaires, l’auteur de cette tribune appelle la France à se positionner en faveur du désarmement nucléaire.
Pour la première fois, les 19 et 21 mai, un président français se rendra à Hiroshima, ville qui symbolise l’horreur atomique, pour participer au Sommet des chefs d’État et de gouvernement du G7. Devant une menace nucléaire qui n’a jamais été aussi forte depuis la fin de la Guerre froide, Emmanuel Macron, foulant ce territoire qui a vu la mort de dizaines de milliers de civils, ne doit pas faire acte d’hypocrisie, dans un discours convenu, sur le danger des armes nucléaires. Ican France l’appelle à faire preuve de courage politique par des actes concrets en adoptant une démarche positive sur le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian).
Depuis son accession, en 2017, à l’Élysée, M. Macron a la capacité d’enclencher le feu nucléaire. Et il souhaite conserver cette posture, puisque sa majorité s’apprête à voter la loi de programmation militaire 2024-2030, dont au minimum 53,69 milliards d’euros seront consacrés à la modernisation et au renouvellement des arsenaux nucléaires. Une dépense publique qui n’est que le prélude à de futures augmentations ; le gros des investissements arrivant après 2030… Évidemment, ce coût annoncé ne prend pas en compte toutes les dépenses, comme la gestion des déchets nucléaires militaires, une partie est d’ailleurs destinée au futur centre d’enfouissement de Bure (Meuse).
2017, c’est l’année aussi où fut négocié aux Nations unies, suite à un processus de plusieurs années, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Un traité adopté à une large majorité (122) des États et qui est entré en vigueur le 22 janvier 2021. Le Tian compte actuellement 68 États parties et 92 États signataires, avec, il faut le noter, la présence de pays membres de l’Union européenne ou partenaires de l’Otan.
L’urgence de baisser les armes
Outre d’avoir laissé son siège de l’Organisation des Nations unies (ONU) vide lors des négociations du Tian, la France (comme les autres puissances nucléaires) n’a eu de cesse de le critiquer et de diffuser de « fausses vérités » concernant, par exemple, le fait que ce traité viendrait fragiliser le régime de non-prolifération ou encore qu’il ne viserait que les puissances nucléaires démocratiques.
Il est peu concevable que le Comité international de la Croix-Rouge, le Bureau des affaires juridiques de l’ONU et les 122 États qui ont mis en œuvre le Tian puissent agir dans ce sens. Par contre, ce sont bien l’ensemble des puissances nucléaires qui fragilisent ce régime en pérennisant leurs arsenaux, contrairement à leurs engagements pris dans le cadre du Traité de non-prolifération ! Refuser un traité est un acte politique, proclamer des mensonges est un acte dangereux.
Alors, comment ce président pourrait-il être sincère dans sa démarche lors de sa visite du Mémorial de la paix — le Dôme de Genbaku — et face aux « hibakusha », les victimes des deux premières bombes atomiques ?
Le 6 août 1945, après de l’explosion de la première bombe atomique, le Dôme de Genbaku fut le seul bâtiment à rester debout. Pixabay/CC/Giada_jn
« Le multilatéralisme n’est pas seulement un acte de foi, c’est une nécessité opérationnelle », a-t-il clamé devant l’Assemblée générale de l’ONU le 14 septembre 2020. Il ne tient qu’à lui de respecter sa parole et d’agir de bonne foi en faveur d’un monde sans armes nucléaires. Nul ne concède que c’est une voie facile, mais rester dans l’indifférence est la pire des politiques. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, adossée à une menace d’emploi constante, démontre une nouvelle fois l’urgence d’agir.
Ne pas rester dans l’indifférence
La France, État dit « responsable », doit avancer vers de nouvelles réflexions pour assurer sa sécurité et plus largement celle des Européens. Pour s’inscrire dans ce que le maire d’Hiroshima nomme « l’esprit d’Hiroshima », le président Macron doit :
- annoncer la participation de la France, comme État observateur, à la seconde réunion des États parties au Tian, qui se déroulera au siège de l’ONU en novembre 2023. Ce statut ne signifie pas que la France adopte ce traité, mais démontre une volonté de responsabilité et de réalisme. Par le passé, la France a adopté ce statut dans des enceintes liées à des traités de désarmement qu’elle ne soutenait pas. Une nouvelle absence serait une faute et témoignerait de mépris vis-à-vis des nombreux parlementaires (56 en 2022 et 59 en 2023) qui demande cette présence ;
- réaffirmer les déclarations faites par le P5 (France, Chine, États-Unis, Royaume-Uni, Russie) le 4 janvier 2022 : « Une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée » et le G20 le 16 novembre 2022 : « L’emploi d’armes nucléaires ou la menace de leur emploi sont inacceptables » ;
- indiquer qu’il va engager sa majorité parlementaire à débattre publiquement sur le sujet des armes nucléaires. Certes, si nous pouvons noter de timides efforts réalisés depuis 2023, via des manifestations publiques, globalement le débat est rare et autocentré sur l’importance de la dissuasion. Seuls deux cycles d’audition depuis 1964 ont été réalisés sur ce sujet, en 2014 et le dernier (2023), où nous avons été auditionnés à huis clos. Cette rareté du débat prouve à quel point les pro-dissuasion ont peur de débattre.
Précisions
– Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
– Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.
Par Jean-Marie Collin (Ican France), publié le 19 mai 2023 à 15h02
Jean-Marie Collin est directeur de la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (Ican) France, organisation lauréate du prix Nobel de la paix en 2017.
Photo en titre : Un hommage a été rendu au Mémorial de la paix d’Hiroshima (Dôme de Genbaku), le 19 mai 2023, à l’ouverture du Sommet du G7 dans cette ville du Japon. De g. à d. : Justin Trudeau, Emmanuel Macron, Ursula von der Leyen, Joe Biden et Rishi Sunak. – © Brendan Smialowski / Pool / AFP
https://reporterre.net/A-Hiroshima-Macron-doit-renoncer-aux-armes-nucleaires
Message de Reporterre
Agir demande du courage, ne rien faire démontrerait un refus d’action vis-à-vis des générations actuelles et futures et de poursuite de la mise en danger de l’environnement.
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