Les États-Unis veulent réduire rapidement les importations d’uranium enrichi en provenance de Russie, dont les ventes soutiennent l’effort de guerre de Moscou en Ukraine. Ils comptent notamment sur le consortium anglo-germano-néerlandais Urenco qui va augmenter ses capacités de production de 15% sur son site du Nouveau-Mexique aux États-Unis. En France, Orano compte aussi augmenter ses volumes sur son site de Tricastin dans la Drôme pour capter une partie du marché d’exportation du géant russe Rosatom.
Dans les diverses sanctions imposées à la Russie, il y a des exceptions. Ainsi, le contrat de l’industrie nucléaire des États-Unis passé avec le géant russe Rosatom n’a jamais fait l’objet d’une dénonciation, comme le pétrole, le charbon, la vodka ou encore le caviar.
Les 92 réacteurs des centrales nucléaires outre-Atlantique, qui fournissent quelques 20% de l’électricité du pays, ont en effet besoin de l’uranium enrichi importé de Russie, pour pratiquement un quart de leurs besoins. Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, s’en est régulièrement ému, sans obtenir satisfaction pour le moment.
1,7 milliard de dollars de revenus
Et pour cause, ces importations des États-Unis et des pays européens, dont la France, financent l’effort de guerre contre l’Ukraine. En 2022, elles ont rapporté 1,7 milliard de dollars à la Russie, selon des sources citées par Associated Press. Sur ce montant, les États-Unis ont versé 871 millions de dollars. Le géant russe nucléaire Rosatom est le premier fournisseur mondial d’uranium enrichi. Maîtrisant l’ensemble de la chaîne du minerai d’uranium jusqu’à la construction de réacteurs et de centrales nucléaires, il occupe une place centrale sur ce marché en fournissant la moitié de l’offre mondiale d’uranium enrichi, non seulement aux États-Unis, mais aussi à des pays européens et asiatiques.
Néanmoins, contrairement à l’Union européenne, Washington a décidé de limiter au plus vite son exposition à Rosatom. Jusqu’à récemment, le Russian Suspension Act stipulait que les importations russes de ce combustible ne devraient pas dépasser 15% d’ici à 2030, contre 28% en 2021. Mais ces dernières semaines, l’administration Biden a révisé son objectif en décidant de cesser dès 2025 ses importations russes.
Les centrales nucléaires américaines sont en effet très dépendantes de l’uranium enrichi russe. Elles ne disposent que de 18 mois de réserves du combustible. Si Vladimir Poutine décidait de réduire ou de suspendre ses livraisons, cela perturberait la production d’électricité outre-Atlantique, même si jusqu’à aujourd’hui, le Kremlin n’a jamais agité une telle menace publiquement.
Alliance au G7
Washington compte aussi sur ses alliés. Lors du sommet du G7 à Hiroshima en mai dernier, le Canada, la France, le Japon, le Royaume-Uni et les États-Unis ont fait part dans un communiqué de leur décision de collaborer en matière de combustibles nucléaires. Objectif, assurer un approvisionnement stable et réduire leur dépendance aux chaînes d’approvisionnement russes. Une initiative raillée par Rosatom qui y voit la « tentative de créer le monstre de Frankenstein », en pointant l’incapacité d’un seul pays à pouvoir créer une chaîne d’approvisionnement complète ou des capacités de production d’enrichissement de l’uranium dont l’investissement est élevé.
En effet, le minerai d’uranium en soi n’est pas le plus important, mais c’est la technologie d’enrichissement qui compte. Peu de pays la maîtrisent, d’autant qu’elle fournit non seulement le nucléaire civil, mais aussi militaire pour fabriquer des bombes atomiques.
La volonté de la Maison-Blanche se concrétise toutefois. La semaine dernière, l’agence Bloomberg indiquait que l’usine de traitement et d’enrichissement d’uranium de la société Urenco, consortium anglo-germano-néerlandais, deuxième producteur mondial, dont le siège est au Royaume-Uni, allait augmenter ses capacités de production de 15% à partir de 2027 sur son site américain situé dans le désert du Nouveau-Mexique. Ses centrifugeuses fournissent déjà aujourd’hui un tiers de l’uranium enrichi aux centrales locales.
« Nous sommes la solution la plus raisonnable pour les États-Unis. L’augmentation de la production d’Urenco devrait être suffisante pour couvrir toute déficience des importations russes », a assuré à Bloomberg Karen Fili, la directrice exécutive de la filiale américaine d’Urenco, qui n’a pas fourni le montant de l’investissement.
Par ailleurs, la société française Orano, troisième producteur mondial, s’est positionnée depuis plusieurs mois sur ce potentiel marché de remplacement d’importations russes d’uranium enrichi. Elle ambitionne d’augmenter de 30% ses capacités de production sur son site du Tricastin dans la Drôme, en espérant lancer son projet dès cette année à l’issue des consultations légales. Le coût total est estimé entre 1,3 et 1,7 milliard d’euros. L’entreprise tricolore pourrait capter près de la moitié de la nouvelle demande occidentale, dont celle des États-Unis, avec la réduction de la part du marché russe.
L’Arabie saoudite étudie une proposition chinoise pour le nucléaire
Enfin, cette future nouvelle configuration en cours du paysage mondial du nucléaire visant à isoler la Russie s’inscrit dans un contexte géopolitique particulier. Sur fond de rivalité entre la Chine et les États-Unis, les Brics ont élargi lors de leur sommet dimanche la composition du partenariat, passant de 5 à 11 membres dont l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite.
Or, la semaine dernière, le Wall Street Journal révélait que l’Arabie saoudite étudiait la proposition de la Chine de construire une centrale nucléaire sur son sol. Selon le quotidien, Riyad voudrait faire pression sur l’administration Biden afin d’obtenir des compromis sur les conditions de l’aide américaine pour fournir l’énergie nucléaire au royaume. Washington exige que l’Arabie saoudite n’enrichisse pas son propre uranium ni exploite des gisements sur son sol, pour éviter de développer un programme militaire pour se doter de la bombe nucléaire. Pékin n’a pas ses restrictions, la Chine visant à renforcer son influence dans la région.
Par Robert Jules , publié le 30 Août 2023 à 13h59
Photo en titre : Crédits : Reuters
NDLR: On dit souvent que l’argent n’a pas d’odeur mais on pourrait ajouter que « l’uranium enrichi non plus! » Nucléaire Infos a publié depuis longtemps des articles qui attirent l’attention de leurs lecteurs sur ce grave problème de dépendance alors que nos gouvernants claironnent que grâce au nucléaire la France est indépendante énergétiquement.
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