Aux États-Unis et en Europe, le nucléaire russe demeure indispensable
Si les sanctions occidentales ont visé les exportations russes d’hydrocarbures suite à l’invasion de l’Ukraine, le secteur nucléaire n’a, pour le moment, pas été concerné. En cause, le rôle global joué par Rosatom dans l’extraction jusqu’au raffinage de l’uranium.
Les États-Unis ont considérablement augmenté leurs capacités nationales de production de gaz naturel et de pétrole depuis les années 2010. En 2020, Washington est devenu un exportateur net de pétrole pour la première fois depuis au moins 19491.
On observe cependant le phénomène inverse en ce qui concerne les capacités de production d’énergie nucléaire du pays.
Les données de l’Energy Information Administration (EIA) montrent que, depuis la fin de la Guerre froide, l’écart entre les importations et la production nationale d’uranium s’est creusé.
En 2022, les États-Unis ne produisaient plus que 0,2 millions de livres d’oxyde d’uranium, tandis que les fournisseurs américains ont livré 4,4 millions de livres aux centrales nucléaires du pays, un chiffre en baisse constante depuis 19812.
L’uranium utilisé par les centrales américaines provient majoritairement du Kazakhstan et du Canada, qui représentent plus de la moitié des importations des États-Unis en 2022.
La Russie demeure quant à elle le troisième fournisseur américain d’uranium, avec 4 781 milliers de livres équivalent U3O8 achetés par Washington l’an dernier.
Dans l’Union, l’uranium naturel russe représentait 16,89 % des importations l’an dernier, ce qui en fait le quatrième fournisseur des 27. L’Agence d’approvisionnement d’Euratom souligne cependant que la quantité d’uranium russe importé a baissé de 16,05 % par rapport à 2021, lorsque Moscou était le troisième principal fournisseur de l’Union européenne (19,7 % du total des importations)3.
À l’état naturel, 44 % des réserves d’uranium se trouvent dans les pays de l’OCDE, contre seulement 22 % dans les pays membres des BRICS (et 34 % dans le reste du monde)4.
Les risques liés à la sécurité des approvisionnements sont ainsi relativement faibles par rapport aux énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz), dont 51 % de la production globale sera contrôlé par les BRICS suite à l’élargissement du groupe.
Malgré cette répartition des réserves mondiales, la Russie demeure le principal acteur mondial en matière d’énergie nucléaire.
Cette domination réside principalement dans le rôle joué par Rosatom — l’entreprise publique russe du nucléaire — tout au long de la chaîne d’approvisionnement : de l’extraction de l’uranium jusqu’à son enrichissement en passant par la conversion, qui consiste à purifier et transformer le minerai.
En 2020, la Russie représentait presque la moitié des capacités globales opérationnelles d’enrichissement d’uranium, et devrait demeurer l’acteur majeur jusqu’au moins 2030 selon l’Association nucléaire mondiale — avec toutefois une légère diminution en termes de part de capacité globale5. Rosatom domine également l’étape de la conversion de l’uranium (40 % des services mondiaux en 2020), bien « que plusieurs des installations de conversion occidentales existantes fonctionnent à des taux d’utilisation faibles, qui pourraient être augmentés »6.
Les revenus de Rosatom liés aux ventes d’uranium et de technologies nucléaires ont augmenté de plus de 20 % en 2022 par rapport à l’année précédente, tandis que le marché européen et américain représentait 12,5 % des recettes de Rosatom à l’étranger en 20217. Si l’imposition de sanctions occidentales sur le nucléaire russe représenterait « un revers » pour l’entreprise8, cette perspective semble peu réalisable en raison de la dépendance de plusieurs pays européens (Bulgarie, République tchèque, Finlande, Hongrie, Slovaquie) à la Russie pour la maintenance et le fonctionnement de leurs réacteurs VVER (réacteur de puissance à caloporteur et modérateur eau)9.
Sources
- The United States became a total petroleum net exporter in 2020, U.S. Energy Information Administration.
- The United States imports most of the uranium it uses as fuel, U.S. Energy Information Administration.
- Market Observatory, Supply Agency of the European Atomic Energy Community.
- Uranium supply security, Eurostat, données de décembre 2022.
- Uranium Enrichment, Association nucléaire mondiale, mise à jour en octobre 2022.
- Matt Bowen et Paul Dabbar, « Reducing Russian Involvement In Western Nuclear Power Markets», Center on Global Energy Policy, mai 2022.
- Dory Castillo-Peters et Frank von Hippel, « US and EU imports of Russian uranium and enrichment services could stop. Here’s how», Bulletin of the Atomic Scientists, 5 août 2022.
- Steven Mufson, « The U.S. imports uranium from Russia. What if sanctions end that ?», The Washington Post, 21 janvier 2023.
- Jonathan Tirone, « Why the US and Europe Still Buy Russian Nuclear Fuel», Bloomberg, 27 août 2023.
Publié le 1er septembre 2023
https://legrandcontinent.eu/fr/2023/09/01/aux-etats-unis-et-en-europe-le-nucleaire-russe-demeure-indispensable/
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