EXCLUSIVITÉ. La Commission européenne a publié vendredi un acte délégué définissant les circonstances dans lesquelles l’hydrogène peut être étiqueté comme « renouvelable ». Une victoire pour la France qui a obtenu l’intégration de l’hydrogène bas-carbone produit à partir d’électricité nucléaire dans ces règles très attendues.
Alors que l’Europe se tourne vers l’hydrogène, les acteurs du secteur craignent que les électrolyseurs produisant le combustible gazeux ne fassent grimper la demande d’électricité et ne cannibalisent l’électricité renouvelable destinée aux usages courants.
Pour éviter cela, la Commission européenne a travaillé sur un ensemble de règles visant à garantir que l’hydrogène vert n’utilise que des sources « supplémentaires » — dites « additionnelles » — d’électricité renouvelable.
Après plus d’un an de retard dû à l’intense lobbying de Paris et Berlin, l’exécutif européen a finalement adopté ces règles vendredi soir (10 février), selon des documents obtenus par EURACTIV.
Pour s’assurer que l’hydrogène vert est fabriqué uniquement à partir d’énergie renouvelable additionnelle, la Commission a cherché à corréler sa production dans le temps et l’espace.
Selon ce principe, un producteur d’hydrogène espagnol, par exemple, ne pourrait pas prétendre que l’hydrogène est renouvelable si l’électricité utilisée provient de Suède.
Le degré de corrélation requis — toutes les heures ou tous les trimestres, à 50 kilomètres de distance ou en provenance d’un pays voisin — a fait l’objet d’intenses débats.
L’industrie préconisait des règles plus souples et les défenseurs de l’environnement insistaient sur une corrélation étroite pour éviter la cannibalisation des usages d’énergies renouvelables.
Après des mois d’hésitation, la Commission a finalement arrêté sa décision et fixé deux critères fondamentaux:
- D’ici 2028, les producteurs d’hydrogène vert doivent prouver que leurs électrolyseurs sont connectés à des installations d’énergie renouvelable ne datant pas de plus de 36 mois.
- D’ici à 2030, la production d’hydrogène doit correspondre à la production d’énergie renouvelable sur une base horaire. Jusque-là, la corrélation est établie sur une base mensuelle.
Avec ces critères, l’industrie européenne peut désormais pousser un soupir de soulagement.
« Il est primordial que la sécurité juridique puisse enfin être assurée afin que les investissements puissent commencer », a déclaré Jorgo Chatzimarkakis, PDG du groupe Hydrogen Europe représentant l’industrie à Bruxelles.
Jusqu’à présent, les investisseurs « rongeaient leur frein » pour prendre des décisions d’investissement définitives en Europe, a-t-il déclaré à EURACTIV, craignant même un exode vers les États-Unis.
Victoire française
Selon la Commission européenne, les critères de corrélation temporelle et spatiale n’auront plus lieu d’être dès lors que 90 % de la production d’électricité d’un pays donné provient de sources renouvelables.
Sur ce point, la France a remporté une victoire importante pour son industrie nucléaire.
Pendant des mois, les responsables politiques français ont fait pression sur Bruxelles pour faire valoir que l’hydrogène vert pouvait également provenir d’une électricité nucléaire à faible teneur en carbone, et pas seulement des énergies renouvelables.
« les discussions à Bruxelles aboutissent à imposer des objectifs très élevés d’hydrogène renouvelable pour l’industrie […] sans prendre en compte la part d’hydrogène qui peut être produite à partir d’électricité d’origine nucléaire », avait déclaré la ministre française de l’énergie, Agnès Pannier-Runacher, lors d’une conférence de presse téléphonique début février.
Selon la ministre, la France risquait donc d’être empêchée d’utiliser son électricité décarbonée pour produire de l’hydrogène vert.
« Ça n’a évidemment pas de sens, c’est absurde et c’est surtout contraire à nos objectifs européens de décarbonation », avait-elle martelé.
Mais ce risque semble désormais écarté.
Selon les règles adoptées vendredi, les pays dont le mix électrique est à faible teneur en carbone seront exemptés de la règle d’additionnalité à condition qu’ils investissent dans de nouvelles capacités de production d’énergie renouvelable pour « un montant au moins équivalent à la quantité d’électricité déclarée comme entièrement renouvelable ».
Pour le certifier, les producteurs d’hydrogène devront produire des « contrats d’achat d’électricité » (PPA), qui permettent aux producteurs d’énergie renouvelable d’obtenir des financements pour leurs projets.
Critères d’intensité carbone du mix
L’exemption s’appliquera si l’intensité moyenne en carbone de l’électricité utilisée pour la production d’hydrogène « est située dans une zone d’enchère où l’intensité des émissions d’électricité est inférieure à 18 gCO2eq/MJ », selon la proposition de la Commission.
Cela signifie que l’exception s’appliquera tant que la production d’électricité d’un pays émet moins de 65 grammes d’équivalent CO2 par kilowattheure (gCO2eq/kWh), selon les calculs d’EURACTIV.
Et parmi les 27 pays de l’UE, seules la France et la Suède répondent à ce critère.
Officiellement, la Commission reconnait une intensité du mix français de 70,56 gCO2/kWh (19,6 gCO2/MJ) pour l’année 2020 de référence, prenant en compte le mix des territoires d’outre-mer, plus carbonés qu’en métropole. Néanmoins, l’exécutif européen laisse la porte ouverte à la possibilité de « s’appuyer sur des données nationales issues d’Eurostat, ou bien d’organismes statistiques nationaux lorsqu’un périmètre différent est choisi », précise sur Twitter l’analyste en hydrogène Maxime Sagot.
Ainsi, en 2021, lorsque son parc nucléaire était presque entièrement opérationnel, les émissions électriques françaises s’élevaient à 56 gCO2eq/kWh, selon les données du site Nowtricity. Toujours selon Nowtricity, la Suède, quant à elle, se situe à une moyenne de 28 gCO2eq/kWh.
En outre, tous les critères verts imposés aux producteurs européens s’appliqueront également à l’hydrogène importé de l’étranger. Une autre victoire pour la France qui a résisté aux pressions de Berlin pour imposer des critères plus souples à l’hydrogène importé.
Au total, « cela va dans le sens des pays pro-nucléaires comme de ceux qui sont hostiles aux importations », confirme à EURACTIV Mikaa Mered, maître de conférences sur les marchés de l’hydrogène, la diplomatie et la géopolitique à Sciences Po Paris.
Soulagement dans l’industrie
Selon Hydrogen Europe, c’est également au Parlement européen que revient le mérite d’avoir assoupli les règles pour les producteurs européens.
Plus tôt cette semaine, les législateurs ont en effet annulé des négociations prévues sur la directive renouvelable, au motif que la Commission n’avait toujours pas présenté ses fameuses règles d’additionnalité, mettant ainsi la pression sur l’exécutif européen.
« C’est formidable qu’il ait finalement été adopté, car jusqu’à présent, moins de 10 % des projets ont pris une décision finale d’investissement », a déclaré à EURACTIV Josche Muth, responsable des affaires publiques P2X chez Ørsted, la compagnie d’électricité danoise.
Les textes actuels, vus par EURACTIV, doivent encore être officiellement publiés dans les registres européens des actes délégués. Des changements de dernière minute ne sont pas attendus.
Le document principal, appelé « acte délégué » dans le jargon de l’UE, est disponible ci-dessous et peut également être téléchargé ici. Deux autres documents sont également disponibles : un « règlement délégué » (ici) et une annexe (ici).
Par Nikolaus J. Kurmayer, EURACTIV.com, traduction Paul Messad, [Frédéric Simon a édité et contribué à la rédaction de cet article], publié le 12 février 2023 à 14h24 (Mise à jour le 12 février pour clarifier la dérogation à la règle d’additionnalité.)
Photo en titre : Après plus d’un an de retard dû à l’intense lobbying de Paris et Berlin, l’exécutif européen a finalement adopté ces règles vendredi soir (10 février), selon des documents obtenus par EURACTIV. [Copyright: European Union]
https://www.euractiv.fr/section/energie/news/leak-france-wins-recognition-for-nuclear-in-eus-green-hydrogen-rules/
NDLR : ce n’est qu’un scandale de plus…
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