L’examen du projet de loi d’accélération du nucléaire a été bouclé en quelques heures mardi au Sénat. Il acte au passage la suppression de l’objectif de réduction du nucléaire à 50 % dans le mix électrique à 2035.
C’est un examen express de la part des sénateurs. Mardi soir, le Sénat a bouclé l’examen du texte d’accélération « des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires » , élargissant sa portée pour « donner un signal fort » de relance du nucléaire, comme l’a souligné son rapporteur, le sénateur des Vosges, Daniel Gremillet (LR).
La mesure la plus emblématique adoptée par le Sénat réside dans la suppression de l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans le mix de production électrique français. Aujourd’hui, le nucléaire fournit environ 60 % de la production d’électricité en France – et près de 75 % quand toutes les centrales tournent à plein régime – or la loi fixait jusqu’à présent l’objectif de ramener cette part à 50 % à l’horizon 2035, dans un souci de réduire la dépendance de la France au nucléaire.
Changement de cap de politique énergétique
Ce plafond de 50 % est issu de la loi de transition énergétique adoptée sous François Hollande en 2015 et a été réaffirmé par la loi énergie-climat adoptée en 2019, au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Le cap avait toutefois pris du plomb dans l’aile dès 2017 : Nicolas Hulot, alors ministre de l’Écologie d’Emmanuel Macron, avait repoussé la date pour l’atteindre de 2025 à 2035.
Maintenir ce plafond signifiait toutefois persévérer dans la fermeture de réacteurs nucléaires, une voie qu’ Emmanuel Macron a écartée dans son discours de Belfort sans pour autant changer la loi. Pour réduire la part du nucléaire à 50 % du mix à 2035, le gouvernement estimait nécessaire de fermer 12 réacteurs nucléaires sur la période (en plus des deux de Fessenheim).
Pour les sénateurs, il était essentiel d’affirmer un changement de cap de politique énergétique dès l’adoption de ce texte. « Le gouvernement élude les questions cruciales de la révision de la planification énergétique. Jusqu’au tournant du discours de Belfort , le président de la République a appliqué une politique d’attrition et d’indécision sur le nouveau nucléaire. Notre commission souhaite renverser la tendance », a expliqué Daniel Gremillet.
Deux concertations publiques sont en cours
Pour vraiment retourner la table, les sénateurs ont aussi supprimé le plafond autorisé d’électricité nucléaire fixé à 63,2 gigawatts dans le code de l’énergie.
Par ailleurs, ils ont aussi inscrit dans le texte l’objectif de maintenir une part de nucléaire dans la production électrique « à plus de 50 % à l’horizon 2050 ». Une manière d’affirmer leur volonté d’engager une relance franche et forte de l’atome car dans ses scénarios , le gestionnaire du réseau électrique français RTE explique qu’il faudrait construire de nombreux EPR en France, voire aussi des SMR et également prolonger au maximum le parc existant, pour maintenir ce niveau de production.
Le sujet est particulièrement sensible pour le gouvernement, qui a promis un « vrai » débat public sur la relance du nucléaire . Deux concertations publiques sont en cours, l’une sur la construction de nouveaux EPR à Penly, l’autre sur le futur mix énergétique.
La ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a martelé mardi devant les sénateurs le souhait du gouvernement d’attendre le résultat de ces consultations pour remanier, avec le Parlement, la feuille de route énergétique de la France. « Nous partageons l’ambition affichée par cet article, mais ce texte n’est pas le bon véhicule pour parler de la PPE [programmation pluriannuelle de l’énergie qui définit les grands objectifs entre 2024 et 2028, NDLR] : cela reviendrait à fouler aux pieds la consultation publique que nombre d’entre vous appellent de vos vœux », a-t-elle insisté.
« Sortie de route »
Cela n’a pas semblé convaincre, d’autant que le camp présidentiel a déposé en dernière minute un amendement reprenant la proposition faite par les sénateurs de supprimer le plafond de 50 % imposé à la production nucléaire dans la loi. « On n’a pas de désaccord de fond avec la position des sénateurs », assure-t-on au cabinet de la ministre.
L’amendement en question a été rejeté et les critiques ont fusé dans l’hémicycle. « Vous disiez que la place du nucléaire dans le mix ne serait pas remise en cause par ce texte qui n’est pas la PPE. Mais ici, vous faites une sortie de route et partez dans le décor ! », s’est emporté le sénateur socialiste Jean-Michel Houllegatte.
Ce mercredi, la Commission nationale du débat public chargé de piloter les débats sur la construction des futurs EPR a aussi fustigé cette proposition. « Elle revient à considérer comme sans intérêt pour définir la stratégie énergétique les interrogations, les remarques et les propositions faites lors du débat public en cours », ont pointé le président du débat, Michel Badré, et la présidente de la commission, Chantal Jouanno .
L’abandon du plafond de production nucléaire doit désormais être discuté à l’Assemblée nationale qui devrait examiner le texte fin mars, début avril.
Par Sharon Wajsbrot et Muryel Jacque, publié le 18 janvier 2023 à 13h27, mis à jour le 18 janvir 2023 à 15h34
Photo en titre : Le Sénat, majoritairement favorable à une relance de l’énergie nucléaire, a élargi en première lecture la portée du projet de loi visant à simplifier les procédures administratives pour favoriser la construction de nouveaux réacteurs. Ici, la centrale de Civaux, dans la Vienne. (Arnoux Thomas/ABACA)
https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/les-senateurs-font-sauter-le-plafond-impose-a-la-production-nucleaire-en-france-1898333
NDLR : Dommage que le référendum de 1969 proposant de modifier en profondeur les prérogatives du Sénat ait échoué !
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